DP – Un océan, deux mers, trois continents

Ce dossier est destiné à toute personne désireuse de développer une animation sur le livre « Un océan, deux mers, trois continents » de Wilfried N’sondé en proposant des clefs de lecture, des pistes d’interprétation et d’analyse. Par ailleurs, il propose des activités visant à développer le goût pour la lecture et soutenir la créativité littéraire des élèves.

Un dossier pédagogique réalisé par Céline Nannini

 > Âge: élèves de secondaire à partir de 14 ans
> Matière(s): Français, Histoire
> Dossier pédagogique novembre 2019
> Mots-clés: esclavage, traite négrière, Royaume Kongo, Inquisition

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complet du livre  »Un Océan, deux mers, trois continents » de Wilfried N’Sondé

L’AUTEUR

PhotoWNS@legattaz

Né en 1968 à Brazzaville, Wilfried N’Sondé a fait des études de sciences politiques à Paris avant de partir vivre à Berlin où il est resté vingt-cinq ans. Il habite désormais en France. En 2016 il a enseigné la littérature à l’université de Berne en tant que professeur invité. Il a également participé à des résidences d’écrivains en milieu scolaire.
Musicien et auteur de chansons, il se produit régulièrement en duo avec son frère Serge N’Sondé en France et en Allemagne. Écrivain, il publie son œuvre aux éditions Actes Sud en France et aux éditions Mémoire d’Encrier au Canada. Ses romans sont traduits aux États-Unis et en Italie et ont reçu de nombreux prix et de bons accueils critiques et publics.

Bibliographie:

- Le Cœur des enfants léopards, Arles, France, Éditions Actes Sud, 2007, 132 p. (Prix des cinq continents de la francophonie 2007 et Prix Senghor de la création littéraire 2007) – (ISBN 978-2-7427-6558-4)
- Le Silence des esprits, Arles, France, Éditions Actes Sud, coll. « Lettres africaines », 2010, 170 p. – (ISBN 978-2-7427-8925-2)
- Fleur de béton, Arles, France, Éditions Actes Sud, 2012, 192 p. – (ISBN 978-2-330-00589-4)
- Manifeste pour l’hospitalité des langues, sous la direction de Gilles Pellerin, avec la participation d’Henriette Walter, Wilfried N’Sondé, Boualem Sansal, Jean-Luc Raharimanana et Patrice Meyer-Bisch, Éditions la Passe du vent, L’instant même, janvier 2012, 130 p. (ISBN 978-2-89502-318-0)
- Orage sur le Tanganyika, Didier, 2014, 75 p. – (ISBN 978-2-278-07880-6)
- Berlinoise, Arles, France, Éditions Actes Sud, 2015, 176 p. – (ISBN 978-2-330-03886-1)
- Un océan, deux mers, trois continents, Arles, France, Éditions Actes Sud, 2018, 272 p. (Prix Ahmadou-Kourouma 2018, mention spéciale du Grand prix du roman métis et du Prix du roman métis des lecteurs de la ville de Saint-Denis 2018, Prix de l’Algue d’Or 2019, Saint-Briac-sur-Mer, France) (ISBN 978-2-330-09052-4)

LE ROMAN

Résumé

Nsaku Ne Vunda voit le jour au royaume du Kongo en 1583. Il naît orphelin, sa mère étant morte en couche. Sa famille adoptive le chérit et cet amour lui permet de grandir par-delà le désespoir. Elle lui donne les moyens de progresser et le confie à des missionnaires car il est vif d’esprit. Il étudie, devient prêtre sous son nom de baptême Dom Antonio Manuel ; un jeune prêtre apprécié dans son village de Boko, tant pour son empathie que pour sa douceur et sa sagesse.

Le 24 décembre 1604, il est convoqué chez le roi Alvaro II, souverain du Kongo. Celui-ci lui confie la mission d’ambassadeur près du Vatican. L’objectif officiel est de représenter, au même titre que les Européens, les Bakongos auprès du pape Clément VIII.

Sa mission secrète sera de dénoncer les conditions de vie et le traitement subis par son peuple afin de plaider auprès du souverain pontifical la cause de ces hommes niés dans leur humanité. Il devra convaincre de l’absolue nécessité de l’abolition de l’esclavage. Si Nsaku Ne Vunda a été choisi c’est parce qu’il est loin des personnes corrompues qui entourent le roi. Il est reconnu pour son honnêteté et sa vision œcuménique embrassant à la fois la tradition ancestrale du Kongo et la tradition chrétienne.

Le jeune prêtre, plein de ferveur pour mener à bien sa mission, embarque donc sur le navire français Le Vent Paraclet. Quittant son village, il découvre la réalité du royaume et le commerce qui a cours dans le port de Luanda. Dès qu’il se retrouve à bord du vaisseau, il est confronté à des séries d’épreuves et doit faire face à l’équipage qui ne comprend pas les égards et le respect donné à un homme noir. Le voyage est prévu pour être long car il faut faire un détour par le Nouveau Monde pour y livrer la cargaison chargée sur le navire. La cargaison : un réel choc pour Nsaku Ne Vunda car elle est constituée par ceux dont il va défendre la cause des esclaves.

Des esclaves traités de manière inhumaine, entravés par des fers et des chaînes. Des femmes offensées, violées, maltraitées tout comme des enfants ; ils sont tous enfermés dans la cale, entassés dans des conditions innommables. Il va devoir endurer tout cela mais grâce à sa foi, il parvient à se convaincre que c’est pour en sauver des milliers d’autres qu’il supporte cela en silence. La compagnie d’un mousse français, Martin, va également l’aider en lui rappelant sans relâche l’humanité et l’amour. Un mousse qui a quitté un autre esclavage en Europe : le servage.

Le navire se dirige donc vers le Brésil, « la terre de brasier », en bravant les tempêtes au cours de ce long voyage. Une fois à terre, la cargaison est déchargée et l’équipage restauré. Le Vent Paraclet reprend la mer à la poursuite de son périple par l’océan pour gagner le Portugal en affrontant d’autres péripéties, des attaques de pirates. Nsaku Ne Vunda atteint finalement l’Espagne mais cette fois c’est aux foudres de l’Inquisition qu’il est confronté. Le corps brisé, l’âme vacillante, il finit néanmoins par gagner Rome en 1608 où il mourra au moment de son entrevue avec le pape. Sa foi en l’amour humaine ne l’aura pas abandonné malgré les ténèbres qu’il aura traversées et il rendra son dernier souffle touché par la grâce divine.

CONTEXTE HISTORIQUE

Afin de proposer une lecture accompagnée du roman, il apparaît nécessaire de rappeler quelques éléments historiques sur les traites négrières et la traite atlantique qui permettront aux jeunes lecteurs de situer le contexte et les enjeux mis en lumière par le récit.

Ces notions permettent de mettre en place des activités de manipulation des connaissances en histoire et géographie et des activités d’écriture.

Afin de proposer une lecture accompagnée du roman, il apparaît nécessaire de rappeler quelques éléments historiques sur les traites négrières et la traite atlantique qui permettront aux jeunes lecteurs de situer le contexte et les enjeux mis en lumière par le récit.

Le commerce triangulaire : l’enrichissement de l’Europe occidentale

Approche pédagogique:

- Travailler en transversalité histoire/littérature (français)
- Se repérer dans l’espace et dans le temps
- Savoir situer un contexte historique et culturel
- Observer, décrire et analyser un document à valeur historique
- Utiliser les connaissances historiques pour découvrir une œuvre littéraire

Acquérir/revoir les notions clefs au cœur du récit
Traite négrière : commerce d’esclaves noirs, par les négriers africains, arabes et européens.
Traite atlantique : échange de marchandises contre des captifs en Afrique, puis déportation de ces captifs vers les colonies d’Amérique où ils sont vendus et deviennent esclaves des colons européens. C’est une étape essentielle du commerce triangulaire.
Esclavage : fait de priver un individu de sa liberté et de le considérer comme une marchandise, que l’on vent et dont on utilise la force de travail.
Empire colonial : ensemble des territoires, dénommés colonies, contrôlés par une même métropole située sur un autre continent (principalement l’Europe occidentale).

Décrire et analyser un document iconographique
Utiliser le dessin ci-après qui rappelle Le Vent Paraclet et permet de figurer son organisation décrite dans le roman.

  • Quels éléments paraissent les plus significatifs ?
  • Comment comprenez-vous l’expression « bois d’ébène » ?
  • Placer sur le dessin les emplacements sur le navire des cabines du commandant Louis de Mayenne et du prêtre.

La Marie-Séraphine, navire négrier transportant 370 captifs (dessin et relevé, 1770, Musée d’histoire de Nantes)

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Lire et établir une carte historique
A partir d’un fond de carte vierge plaçant l’océan Atlantique au milieu, compléter les légendes (adapter le niveau de détail de la carte selon les connaissances et acquis des lecteurs) :

  • Légender la carte en situant les continents, les océans, les mers ;
  • Indiquer le nom des empires et des colonies ;
  • Indiquer les flux d’échanges (marchandises et esclaves) ;
  • Retracer le parcours du Vent Paraclet.

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La seconde carte est plus détaillée et permet de saisir l’enjeu global de la géographie du commerce colonial à l’heure de l’apogée de ce commerce (domination anglo-française).

  • permet d’aborder la guerre que se livre les empires coloniaux européens à travers la domination des mers et des routes ;
  • permet d’évoquer la piraterie en écho au récit du roman (p.138/140)

Attention: certaines  illustrations et certaines données sont postérieures à la chronologie du roman mais permettent de situer l’enjeu exposé dans la durée.

Focus

L’Europe de la Renaissance au XVIIème siècle : un ordre inégalitaire

Il est essentiel de comprendre que l’esclavage existe également et d’abord en Europe. Pour ce faire, aborder l’étymologie du terme : emprunt au latin médiéval sclavus qui signifie « slave ». Le changement de sens « slave » en « esclave » s’explique par le grand nombre de Slaves réduits en esclavage dans les Balkans par les Germains et les Byzantins pendant le haut Moyen-Âge.

La société est hautement inégalitaire et le rang assigné par la naissance des individus ne peut être transgressé. Cela fonde également les régimes absolutistes qui ont cours en Europe.

Apparaît tout de même une catégorie de négociants, commerçants et banquiers dès le Moyen-Age que les explorations de la Renaissance confortent grâce à la spéculation permise par les empires conquis. Des hommes qui s’enrichissent en se risquant dans le commerce des esclaves et des marchandises exportées et importées entre l’Europe, l’Afrique et « le Nouveau Monde ».

Cette bourgeoisie contribue à asseoir le pouvoir des empires européens sur le reste du monde et permet également de financer les conquêtes territoriales continentales.

Les villes de la façade atlantique enrichies grâce au commerce triangulaire

La ville de Nantes est un port qui fit fortune grâce au commerce d’esclaves tout comme La Rochelle ou Bordeaux. Ces villes de la façade atlantique du royaume de France ont accumulé suffisamment de richesses pour attirer les populations venues de l’arrière-pays à la recherche de travail et de meilleures conditions de vie. Nombreux sont ceux qui embarquent vers les promesses des colonies. Se retrouvent alors dans ces villes, dont la population augmente rapidement, des bourgeois, des marchands, des marins, des ouvriers travaillant le bois pour construire les navires (chantier naval) et des paysans fuyant le servage et la misère.
Les négociants et les armateurs s’enrichissent grâce aux échanges commerciaux et à la traite négrière. Les compagnies commerciales et les établissements bancaires construisent de nouveaux bâtiments qui transforment l’architecture des cités portuaires et témoignent de cette prospérité grandissante : hôtels particuliers, bourse du commerce, ornementation des façades, sculptures…
Le commerce triangulaire devient un secteur porteur de l’expansion européenne et de ces villes littorales notamment anglaises, hollandaises et françaises comme Anvers, Londres, Lisbonne ou Nantes.

>> Illustration avec la situation de Martin échappant au servage en gagnant Nantes :

Il convient de proposer cette activité d’écriture avant de plonger dans le récit que Martin fait à Nsaku Ne Vunda en deux temps. Faire le récit de la vie de Martin avant qu’il ne s’embarque pour le Nouveau Monde : imaginer ce qu’il l’a poussé à quitter sa campagne et à se rendre à Nantes (en une vingtaine de lignes en utilisant les temps du passé – travail sur la valeur des temps du passé).

Les enjeux religieux 

Approche pédagogique:

- Travailler en transversalité (histoire/littérature)
- Se repérer dans le temps et dans l’espace
- Contextualiser une œuvre littéraire
- Saisir les enjeux d’une œuvre littéraire

Quelques repères chronologiques pour situer le contexte historique du roman :

  • 1451/1504 – Isabelle la Catholique, Isabelle 1ère de Castille, elle s’autoproclame reine de Castille et León à Ségovie, usurpant la place de sa nièce à la mort d’Henry IV. En 1492, elle autorise avec Ferdinand II l’expédition de Christophe Colomb vers les Indes.
  • 1478/1834 – Inquisition espagnole et portugaise, inféodées à la couronne d’Espagne et du Portugal (le Portugal et ses possessions sont intégrés à l’Empire espagnol en 1581), opérant aussi dans les colonies de ces pays.
  • 1584/1614 – règne d’Álvaro II (Nimi a Nkanga) au royaume du Kongo.
  • 1589/1610 – règne d’Henry IV en France : réconciliation Protestants/Catholiques.
  • 1598 – édit de Nantes promulgué par Henry IV : des droits de culte, civiques et politiques sont accordés aux Protestants du royaume de France mettant ainsi fin aux guerres de religion qui ont cours depuis 1562.
  • 1598/1621 – règne de Philippe III, roi d’Espagne, de Sicile, de Naples et du Portugal : le règne est laissé aux mains d’hommes d’influence, tel le duc de Lerma, qui gouvernent à sa place.
  • 1609 – expulsion d’Espagne des descendants maures convertis au catholicisme, les Morisques : beaucoup trouvent à s’installer au Maroc, à Alger ou en Tunisie, l’hostilité entre les communautés religieuses s’aiguise. Certains retournent à leur foi musulmane, et grossissent les rangs des « corsaires barbaresques ».
  • 1611 – début de la Guerre de Trente Ans qui oppose toutes les grandes puissances européennes et entraînent également leurs colonies pour leurs ressources. Les mers sont également le théâtre d’affrontements entre les puissances maritimes espagnole (l’Invincible Armada qui essuie de nombreuses défaites après un siècle de domination sans partage), hollandaise (les Provinces du Nord, possessions espagnoles, font sécession pour motifs religieux et les villes portuaires profitent du commerce avec le Nouveau Monde), anglaise (qui prend progressivement le contrôle des mers) et française (qui cherche à assurer sa domination dans la zone caribéenne pour conserver la mainmise sur l’exploitation lucrative de Saint-Domingue).
  • 1617/1643 – règne de Louis XIII en France ; fondation de l’Académie française, nombreuses révoltes paysannes.
  • 1648 – traités de Westphalie : fin de la Guerre de Trente Ans en Europe.
  • 1685 – promulgation du Code Noir par Louis XIV et Colbert.

Illustration d’un récit de voyage par Théodore de Bry, Départ de Lisbonne (1562)départ

Le contexte culturel en Europe : La Renaissance

La période historique au cœur du récit est celle de la Renaissance européenne qui est à la fois un moment de misère et de guerres et de grandes remises en question philosophiques, spirituelles, littéraires, artistiques et scientifiques. C’est une époque ambivalente à l’image du baroque (L’adjectif s’applique étymologiquement à des perles de forme irrégulière. Le terme apparaît en 1531 d’abord dans le domaine de la joaillerie), mouvement majeur de la période.
Cette sensibilité nouvelle naît dans un contexte bouleversé où la perception de l’univers a changé. De nombreuses guerres civiles remettent notamment en cause les certitudes humanistes sur le progrès de l’être humain qui se montre capable d’horreurs au nom de la religion, appuyé sur les dogmes et l’Eglise qui légitime cela.

Ainsi les thèmes baroques soulignent l’inconstance et la transformation perpétuelle, et explorent les illusions et les imaginaires changeants (le thème de l’eau et du miroir par exemple sont très présents). L’être humain est montré dans contradictions (on peut par exemple penser aux sentiments de foi intense en même temps que le découragement ou la violence de la colère qui traversent Nsaku Ne Vunda au cours de son périple). La permanence de la mort est également un thème fréquemment déployé qui nourrit la mélancolie et engendre une inquiétude que les œuvres traduisent dans un mélange d’abstrait et de concret, travaillé par une rhétorique surabondante.

L’Inquisition espagnole
Ces rappels permettent de saisir l’enjeu historique présenté dans la seconde partie du récit qui relate le périple de Nsaku ne Vunda vers l’Europe puis ses péripéties vécues de Lisbonne à Rome en passant par la Castille espagnole. L’Inquisition se fonde sur la notion d’hérésie ou d’erreur religieuse et conteste, du point de vue théorique et théologique, toute remise en question de l’orthodoxie de la foi catholique. Emergente au Moyen-Age, cette tendance monte en puissance avec la domination de l’empire espagnol et sert à la fois l’établissement du pouvoir religieux et celui de l’absolutisme en Europe.

La répression de la Réforme protestante, sous les règnes de Charles Quint puis de son fils Philippe II, donne lieu à l’application de l’Inquisition sur le plan juridique. Tout un système est mis en place jusqu’à l’usage de la torture et de la peine de mort pour les hérétiques ; ceux qui contestent le dogme catholique.
Cette violente répression contribue notamment à l’indépendance des Pays-Bas. Des tribunaux de l’Inquisition sont également établis dans les territoires de l’empire espagnol et notamment Amérique du Sud. Les missionnaires et juges de l’Inquisition sont alors les émissaires du pouvoir central et assurent indirectement la soumission aux couronnes européennes en usant de la volonté de contrôle spirituel. Cette tendance forte de l’église catholique trouve bien entendu des échos dans les autres territoires européens en proie aux guerres de religion.

La résonnance avec le récit
A bien des endroits le personnage du prêtre fait montre d’une grande ouverture spirituelle puisqu’il est lui-même le fruit d’une sorte d’œcuménisme (Œcuménisme : rapprochement, unité, union ; mouvement qui tend à rassembler tous les catholiques et plus largement tous les croyants de la Chrétienté) rassemblant mysticisme bakongo et foi chrétienne. Il ne se confronte que tardivement aux méfaits les plus violents de l’Inquisition mais dès sa première traversée, il témoigne d’une réflexion sur sa propre foi se rendant à la simplicité d’une prière plus directe. Ainsi « loin de toute institution religieuse depuis plusieurs semaines, [sa] foi se mua en un rapport plus direct avec l’au-delà où [il se] surpris à interroger Dieu sur sa création » (page143). Les actions humaines le poussent à se remettre en question en tant que croyant.

Nsaku Ne Vunda est également plus directement confronté à la violence de cette phase inquisitoriale lorsqu’il est séquestré à Tolède en Espagne avant de gagner Rome. La ville était en effet le lieu de tribunaux inquisitoriaux particulièrement sévères qui firent de nombreuses victimes que d’aucuns considèrent comme des martyrs de la foi chrétienne.

Focus: Pirates et corsaires

Les corsaires sont en quelque sorte des militaires auxiliaires, envoyés du pouvoir : ils disposent d’une lettre de course qui les autorise à aborder des navires et à s’emparer de leur cargaison et de leur équipage. Un partage du butin (les prises) est alors effectué entre l’armateur privé, le commandant et la couronne commanditaire. Cela permet aux puissances de combler les pertes essuyées et de recouvrir les dettes de leurs adversaires. On les nomme également flibustiers, ou boucaniers dans les Caraïbes.

Ces guerres de course ont lieu jusqu’à la seconde moitié du XIXème siècle.

Les pirates sont également des marins expérimentés mais eux ne disposent pas de cette protection légale qui permet d’agir pour le compte d’une couronne. Ils dérobent et ne laissent pas de quartier aux navires devenus leur proie. Lorsqu’ils sont pris, ils sont pendus haut et court (la corde bien proche du cou afin que les corps soient visibles). Ces razzias ont parfois lieu sur les littoraux qui progressivement voient les villages et les populations effrayées reculer dans les terres, comme par exemple en Sicile ou en Italie. Les richesses accumulées sont intégralement conservées et enrichissent quelques cités, notamment sur les rives de la Méditerranée.

Bien souvent ces corsaires sont des renégats : ce sont des Chrétiens convertis à l’Islam que l’Eglise catholique dans le royaume espagnol ou français, adossée au pouvoir monarchique, a expulsé hors de ses terres.
La piraterie existe toujours et a cours sur toutes les mers du monde. La concurrence entre pirates et corsaires est féroce et ce sont de véritables guerres que se livrent ces équipages expérimentés, soit entre eux soit pour le compte des puissances dominantes.

De fameuses figures émergent et participent à la création d’un imaginaire de fiction toujours vivace.

Au large de la côté nord d’Hispaniola, l’île de la Tortue, frères de la côte

L’ile de la Tortue, avec son unique montagne, qui lui donne l’air d’une tortue vue de loin, était au XVII siècle, l’un des principaux centres de ralliement de la flibuste française. Plus près de la Jamaïque anglaise que de la Martinique et de la Guadeloupe, elle se situe au milieu des « îles du Pérou », comme on appelait encore les Antilles. Cette dénomination dit bien l’enjeu géopolitique de cette partie du Nouveau Monde, le rêve d’Eldorado (El Dorado) que suscitait le continent sud-américain, alors entièrement aux mains des Espagnols et des Portugais. Au grand dam des Hollandais, mais surtout des Anglais et des Français qui choisissent de se tenir en embuscade. Ne pouvant contrôler légalement la zone, ils se serviront alors des pirates et des mercenaires comme bras armé officieux. L’ile de la Tortue était ce port d’attache pour attaquer les galions espagnols qui traversaient l’océan Atlantique chargés des trésors arrachés au Mexique ou à l’Amérique du Sud, jusqu’à la signature du traité de Ryswick (1697) où la France obtint de l’Espagne la propriété de la partie occidentale de Saint-Domingue.

Fragment de carte maritime de la zone caraïbe, 1657 (musée de la Marine, Paris)pirates

Alger, cité corsaire

Le port d’Alger est à l’époque une cité autonome mais intégrée à l’Empire Ottoman contre lequel les empires européens se battent. C’est le régime de la régence d’Alger. La ville est essentiellement le lieu de refuge de ceux qui se sont vus expulsés de l’Europe chrétienne du fait de leur foi musulmane. La ville portuaire croît rapidement grâce notamment à son statut de port d’attache de nombreux pirates de la zone méditerranéenne, à l’image du Raïs Dali, fameux en son temps.

Simon Danziger, le Raïs Dali, le Capitaine Diable

Il est né vers 1579 en Hollande et mort en 1616 à Alger. C’est un officier passé au service de la régence d’Alger comme « corsaire barbaresque (C’est ainsi qu’étaient désignés les corsaires agissant à proximité des côtes du Maghreb) ». Il est réputé cruel, habile et s’appuie sur sa forte expérience dans la marine néerlandaise. Il a introduit dans le monde barbaresque les vaisseaux de haut bord permettant de naviguer dans l’océan Atlantique. C’est ainsi qu’on le retrouve comme personnage actant dans le récit du roman.

>> En une vingtaine de lignes, faire le portrait du corsaire barbaresque et imaginer les raisons pour lesquelles il est devenu le capitaine redouté qu’il est. Utiliser les dimensions physiques et psychologiques du portrait et les informations livrées par le roman pour la partie narrative et descriptive.
(page 161 à 166 dans l’édition Acte Sud)

A BORD DU RECIT

De nombreux thèmes et différentes approches critiques peuvent être mobilisés pour l’étude du roman. Le présent apport ne prétend nullement être exhaustif et se veut une proposition pour aborder le texte et ses enjeux afin de les transmettre et d’en poursuivre les pistes avec les lecteurs. Certains points permettent ainsi de (re)voir des notions d’analyse littéraire mais n’entrent pas dans les détails d’une lecture savante.

Approche pédagogique:

- Revoir des notions littéraires
- Lire et comprendre un texte littéraire
- Formuler des hypothèses d’interprétation
- Comprendre les effets esthétiques
- Expression écrite (imagination et argumentation)
- Expression orale (argumenter et prendre part à un débat)

Un roman historique, un roman d’aventures ou un roman d’initiation ?

Les notions de genres et de registres littéraires
Les genres littéraires désignent les types de récit associés au discours narratif (qui raconte une histoire dans le temps et selon un point de vue). Nous retenons ici ceux qui se rapprochent le plus de l’œuvre excluant ainsi les genres théâtraux et poétiques.

  • Le roman : long récit narratif, plutôt populaire dont le grand développement se fit au XIXème siècle.
  • Le conte : court récit de fiction à visée didactique c’est-à-dire qui vise à enseigner et délivrer une vision critique dans le cas des contes philosophiques.
  • L’autobiographie : récit de la vie de l’auteur qui se fait aussi narrateur et personnage principal ; on peut y associer les journaux intimes et journaux de voyage.

Pour affiner la lecture, cela peut être également nécessaire de rappeler quelques grands registres (la tonalité d’un texte, sa couleur) que Wilfried N’Sondé appelle sous sa plume.

  • Epique : qui met en scène des exploits et des valeurs d’un héros ou d’un peuple
  • Lyrique : qui communique les sentiments exprimés par l’auteur
  • Pathétique : qui provoque l’empathie, la pitié ou l’attendrissement en décrivant souffrances et luttes dans des situations difficiles.

A quel sous-genre appartient ce roman ?

  • Le roman historique : c’est un récit qui situe l’histoire à une époque antérieure de celle de l’auteur.
  • Le roman d’initiation (d’apprentissage) : de formation, d’apprentissage ou d’éducation montre l’évolution d’une personnalité au contact du monde extérieur.

>> peut se rapprocher du conte à dimension philosophique.

  • Le roman d’aventures : le personnage évolue dans un contexte différent ou inconnu de lui et dont les actions constituent l’essentiel du récit.

>> Chercher des exemples dans les références connues des lecteurs, les partager et retenir ceux qui pourraient éventuellement être comparés au roman étudié. Justifier à l’oral de ce choix (travail simple d’argumentation et mise en débat).

>> Après avoir découvert le roman, comment peut-on caractériser ce récit ? De quel type de roman s’agit-il ? Développer son point de vue en un paragraphe argumenté et justifié par des exemples du texte (travail individuel écrit ou organiser un débat à l’oral).

Le registre du roman : une langue poétique pour dire l’indicible
Au début de récit, le narrateur rappelle son histoire et celle du Kongo dans une modalité contée : il décrit la « légende qui [lui] fut contée dans [son] enfance » , celle qui raconte la naissance du peuple kongo par neuf femmes illustrant l’esprit d’amour dont il ne se départira pas.

Le lecteur est donc très vite confronté au merveilleux, registre principal des contes. Ce registre vient s’illustrer dans la structure classique du roman comme cela sera évoqué ensuite, et dans l’usage des champs lexicaux de la mythologie, de l’amour, de la fraternité mais également de la nuit et du danger. Bien fréquemment l’auteur utilise des métaphores et des périphrases lyriques rendant compte au lecteur de la puissance des sentiments qui affectent le héros.

Rappels de notions :

  • le registre merveilleux est la tonalité utilisée dans les contes qui fait surgir des éléments surnaturels qui sont pourtant acceptés par le lecteur ; on le trouve dans les contes.
  • le registre lyrique est le registre qui permet d’exprimer les sentiments intimes que l’auteur partage ainsi avec son lecteur ; fréquemment utilisé dans la poésie.
  • le champ lexical est un ensemble de mots permettant d’explorer un thème que l’auteur développe dans un texte.
  • la métaphore est une figure de style qui met en relation deux termes (comparé/comparant) sans utiliser d’outil de comparaison ; cela contribue à créer des images poétiques.
  • la périphrase est une expression qui désigne un objet ou un être plutôt que d’utiliser un mot précis ; cette figure de style permet également de déployer des images poétiques.

Ainsi de nombreux passages illustrent cette dimension merveilleuse, également onirique, dans laquelle est plongée Nsaku Ne Vunda au cours de son périple. C’est également la tonalité marquante lorsque sont évoquées les femmes, celles qui fondèrent le Kongo, mais également la mère du narrateur ou encore les échanges entre le narrateur et Martin ayant révélé sa véritable identité, celle de Thérèse.

Par exemple, le passage racontant la naissance du futur prêtre évoque un récit des origines, fondation d’une légende à venir que l’on peut transmettre comme un conte : notamment avec l’usage des connecteurs temporels, « d’abord », et des déterminants indéfinis qui décontextualisent ce qu’il se passe (« un soir » ; « une femme »). Dès le récit de sa naissance, épisode éminemment propre à chaque individu, devient donc un évènement à portée universelle, qui touche chacun des êtres vivants. Et c’est ainsi que le lecteur pénètre ce roman contant l’épopée d’un homme qui s’adresse en fait à tous. Tissant les liens par les femmes, le récit vient également se placer dans la lignée des contes traditionnels transmis de mères en filles.

Un autre exemple peut servir de texte d’étude avec les lecteurs : les passages contant la scène de tempête essuyée par le navire . Le lecteur découvre des scènes épiques que l’auteur décrit dans une langue lyrique qui fait appel de nouveau à des images poétiques. Notons par exemple page 106 : «Soudain, le ciel vira à un noir de goudron qui projeta ses tentacules dans l’azur immaculé qui entoura le vaisseau […] ». La langue utilisée pour la description de cette tempête sort la description d’un moment périlleux et permet à l’auteur de rester sur le fil de la pensée de Nsaku Ne Vunda qui n’est pas un héros vaillant mais un homme en proie à la peur, à la colère mais qui tient debout par sa foi en l’amour.

Pour autant cette scène de tempête devient également la métaphore de la lutte sans fin qui doit se mener dans le monde des Hommes puisque même lorsque l’accalmie survient, ceux qui sont dans la cale du navire n’ont pas fini de souffrir leur condition. C’est alors un moment de prise de conscience du prêtre qui se départit peu à peu de sa candeur en traversant à proprement parler des tempêtes.

>> Ce qui peut être intéressant à pointer auprès de jeunes lecteurs est cette dimension merveilleuse qui permet de raconter une histoire individuelle à la charge épique mais en utilisant une voix poétique.

>> Choisir un passage court où la langue poétique est perceptible dans les champs lexicaux, les images et figures de style employés. Organiser ses remarques pour montrer le lyrisme du texte.

En effet, le roman n’est pas un document historique qui viserait à retracer le parcours d’un témoin de l’esclavage. Certes ces éléments constituent la trame des évènements du récit mais la fiction tend à s’en extirper afin de livrer un conte initiatique et un récit d’une aventure humaine. C’est une épopée individuelle et lyrique qui permet de raconter ce qui n’a pas été écrit par l’Histoire : le parcours de Nsaku Ne Vunda devenu personnage de roman raconte donc une histoire collective de ceux qui n’avaient pas de voix pour la partager. Un contexte historique présent mais que la dimension merveilleuse dépasse.

La temporalité du roman : la structure du roman

Quelle est la chronologie des faits ? Repérer les dates et donner le plus de précisions possibles. Que constate-t-on ?
Faire comprendre que la chronologie du récit est perceptible par le mouvement, le voyage et la géographie, bien plus que par les dates qui sont peu nombreuses.
Il faut se pencher sur les personnages historiques pour pouvoir les préciser.
En revanche la temporalité du roman est, elle, plus nette.
On observe une alternance de passages narratifs et de suspensions livrant des informations historiques comme autant de respirations dans le flot narratif. Ces passages sont rendus en italique et donnent des précisions qui contextualisent les épreuves vécues ou détaillent certains points d’histoire.
Ces moments permettent de structurer le roman en un flux narratif continu tout en le ralentissant dans des moments descriptifs hors de l’action.
Citons pour illustrer cette idée un bref passage :
« Nous allions commencer un périple de plusieurs centaines de kilomètres qui durerait des semaines, mais pour moi l’espace était devenu immatériel et le temps lui-même avait perdu toute consistance » .
>> Repérer chacun de ces passages à valeur historique (en s’aidant des repères donnés plus haut) et résumer en quelques phrases ce qu’ils exposent.
Faire ensuite les remarques jugées nécessaires sur leur place dans la structure globale du roman.

Ainsi la temporalité du roman structure-t-elle le texte divisé en chapitres de longueur à peu près égale, brefs et non numérotés, ni intitulés, qui rythment le récit en passages successifs.
D’une part, ce découpage permet de garder le lecteur en haleine, d’autre part il permet de créer des scènes où se déroulent des actions ou bien des réflexions en ces moments de dialogue intérieur qui dévoilent les pensées de Nsaku Ne Vunda.

- Rappel sur l’arc narratif : c’est le schéma que suit le déroulement d’un récit afin d’en déployer l’action et le propos. Cela permet notamment de créer une tension dans la narration qui en fait pour partie son intérêt et le fait avancer. Ainsi de manière classique comme on le retrouve dans les contes, le récit se construit en plusieurs étapes identifiables au fil du texte.

  • La situation initiale, qui correspond à l’incipit et qui amorce le récit en présentant les protagonistes, les lieux et l’époque.
  • L’élément perturbateur, qui fait basculer le récit et déclenche ainsi l’histoire déployée ensuite.
  • Les péripéties, auxquelles le personnage principal, le héros, va se confronter et faire progresser le récit.
  • L’élément de résolution, qui permet au protagoniste principal de trouver la solution aux problèmes qu’il rencontre ou de dénouer une situation. Il est généralement apporté par un auxiliaire, un autre personnage agissant pour débloquer le récit.
  • La situation finale, qui peut être rapprochée de la chute et présente un dénouement qui déplace plus ou moins les éléments en comparaison avec la situation initiale. C’est dans cet écart que le protagoniste, le héros, trouve les moyens de progresser, d’apprendre quelque chose.

>> Pour établir ce schéma narratif, les lecteurs peuvent procéder à l’aide d’un tableau. Il n’y a pas de chapitre numérotés ni titrés mais le texte est divisé en quarante-deux passages que l’on peut chercher à résumer en une phrase ou deux mettant en lumière l’action et le sujet principal. La vue d’ensemble et les moments de basculement du récit apparaissent ainsi clairement.

Les personnages 

Les personnages principaux :

  • La statue Negrita : érigée à l’effigie de Nsaku Ne Vunda à Rome en janvier 1608 par les soins du pape Paul V. C’est la première voix du récit.
  • Nsaku Ne Vunda, baptisé Dom Antonio Manuel : né vers 1583, sur les rives du fleuve Kongo à Boko. Orphelin et éduqué par les missionnaires, il fut chargé par le roi des Bakongos, Alvaro II, au tout début du XVIIème siècle, de devenir son ambassadeur auprès du pape Clément VIII au Vatican. Il est à la fois candide et généreux, humain dans sa foi puisqu’il n’est pas à l’abri de sentiments violents tels que la colère, le désespoir ou encore le trouble du désir.
  • Martin/Thérèse : mousse à bord du Vent Paraclet qui se lie d’amitié avec Nsaku Ne Vunda. Une révélation quant à sa nature féminine dissimulée semble troubler légèrement le rapport établi entre eux mais l’amitié comme forme d’amour inconditionnelle est plus forte et leur permet de survivre aux péripéties qu’ils traversent ensemble. La dualité dans le genre montre cette possibilité car le caractère du personnage ne change pas une fois la confession faite. Il reste confiant et pugnace, courageux, discret et fidèle.

Les personnages secondaires :

  • Louis de Mayenne : autoritaire capitaine du Vent Paraclet et homme d’affaires dénué de morale. Il a les faveurs de la cour et se montre maître implacable et violent à bord de son navire. Il est cependant soumis à la peur et connaît une fin à l’image de sa cupidité sans vergogne.
  • Raïs Dali : pirate hollandais convertit à l’Islam, bien qu’en réalité commandité par la papauté qui se méfie du capitaine français ayant ses entrées à la cour du roi de France et de Navarre.
  • Le chœur des esclaves et des miséreux : il est puissamment présent lors de la première traversée et figure la déshumanisation car seuls des hommes et des femmes sont montrés, bafoués, maltraités et humiliés sans jamais que leur nom ne soit donné ou leur voix entendue mais leur plainte et leur souffrance sont omniprésentes et accompagnent Nsaku Ne Vunda dans son périple.
  • Frère Roberto : c’est l’accompagnateur adjuvant de Martin/Thérèse et Nsaku Ne Vunda lorsqu’ils arrivent en Europe et touchent à la dernière partie de leur périple. Il les accompagne à travers la péninsule ibérique mais finira pas tomber aux mains de l’Inquisition et disparaît dans ce tourbillon de torture. Il est jovial et confiant et représente une figure humble du clergé européen.
  • Linda : c’est une esclave que Louis de Mayenne a choisi pour en faire sa servante et sa favorite. Un enfant né de cette union permet à la jeune femme de se sortir du sort réservé aux autres esclaves. De part cette singularité, elle se montre méprisante et hautaine envers les autres. Pourtant un sort sans pitié lui est réservé dès que le capitaine n’a plus besoin d’elle.

Les personnages historiques :

  • Alvaro II : fils successeur d’Alvaro 1er. Il monte sur le trône après un conflit avec ses frères.
  • Le duc de Lerma : Francisco Gòmez de Sandoval y Rojas, favori de Phillipe III d’Espagne et son ministre. Il a une immense influence sur le roi et c’est en fait lui qui gouverne.
  • Philippe III : Prince espagnol de la maison de Habsbourg, peu intéressé par le pouvoir politique dont il a la charge.
  • Le pape Clément VIII : Ippolito Aldobrandini ; c’est le pape qui voit la conversion du roi Henry IV au catholicisme et qui autorise le café comme boisson qui n’est alors plus considérée comme celle des Musulmans et du Diable.
  • Le pape Léon XI : Alexandre de Medicis ; il poursuit l’œuvre de réconciliation de Clément VIII.
  • Le pape Paul V : Camille Borghèse ; il prolonge l’action de Clément VIII, c’est lui qui reçoit Nsaku Ne Vunda au Vatican.

>> Faire la liste des personnages recensés dans le roman et chercher à les positionner sur la liste des actants : les classer selon leur importance dans le récit et selon leurs modalités d’action sur l’histoire et sur le récit.

>> Faire le portrait moral des deux personnages principaux en cinq lignes maximum.

La voix narrative

L’intérêt se porte ici sur la figure qui raconte l’histoire telle que le premier chapitre oriente l’attention du lecteur.

Focus sur le premier chapitre

Le lecteur entre dans le roman par un « je » narrateur qui se présente en donnant les informations attendues dans un incipit progressif.
Mais très vite, ce «je » de chair devient, sinon la voix d’une statue, la voix de celui que ce buste représente : «Aujourd’hui, on appelle « Nigrita » la statue de marbre érigée à mon effigie à Rome […] » .

- rappels sur la notion d’incipit :
C’est le début d’un roman qui répond en principe aux questions nécessaires à la compréhension d’un récit : qui ? où ? quand ? quoi ? et bien souvent, comment ?
Autrement dit, les précisions sont fournies sur le narrateur, l’époque et le temps du récit, le(s) lieu(x), le sujet et le thème et éventuellement sur le registre, le ton du récit.
Trois types d’incipit peuvent se différencier :

  • L’incipit statique : il a une fonction informative qui décrit le(s) personnage(s) et/ou le décor et le contexte historique, économique, politique. Il repousse l’action du récit et met ainsi le lecteur dans une position d’attente.
  • L’incipit progressif : il répond à une partie seulement des questions de base et fournit des informations au fur et à mesure qu’il avance.
  • L’incipit in medias res : d’après la locution latine « au milieu des choses », ce type d’incipit plonge le lecteur directement dans le récit sans donner de situation initiale ; l’histoire a déjà commencé.

>> A quel type d’incipit le lecteur est-il ici confronté ? Justifier la réponse à l’oral.

Une fois ces rappels revus, il est intéressant de se pencher sur la statue qui porte cette voix narrative.
En effet, une statue représente : c’est une figure, une image. Elle incarne le personnage-narrateur dont l’histoire va être livrée. Ce qui est un paradoxe à plusieurs titres puisqu’elle vient donner vie à une voix tandis qu’elle est un bloc de marbre donc un élément minéral dénué de vie humaine. Et cette voix qui se fait alors entendre vie est celle de cet être disparu dont la mémoire est tombée dans l’oubli et la voix réduite au silence depuis sa disparition. Cette statue fait donc entendre une voix rendue muette – troisième paradoxe.
Par ailleurs, une statue est érigée pour faire l’éloge d’un héros, d’un être remarquable dont les actions sont ainsi glorifiées. Le lecteur peut donc comprendre que le récit qui va suivre sera celui d’un individu remarquable.

Pour autant, c’est bien un procédé éminemment littéraire que convoque l’auteur : c’est un pure personnage de fiction.

Notons également que bien des statues dans les pays qui colonisèrent les terres évoquées dans le roman, ont été dressées sur des places pour célébrer la mémoire des armateurs, des militaires, des papes et des rois qui rendirent le commerce des êtres humains légal et levier de leur puissance… Ici la statue est celle de celui qui n’entendait rien à cette violence.

Photographie du buste de Nsaku Ne Vunda, « Nigrita », en marbre noir, réalisé par Stefano Moderno et Fransisco Caporale conservé dans la basilique Sainte-Marie-Majeure à Rome

buste

 

Le personnage trouve son origine dans la personae antique qui désigne le masque porté par les tragédiens pour figurer un rôle et faire entendre une voix. Le personnage est un être de papier, de fiction et une notion textuelle. La statue le sort quelque peu de cette dimension mais ne dépasse pas le cadre romanesque : bien au contraire, elle l’y replonge totalement puisque d’une personne ayant réellement existé, d’un individu ayant une histoire avérée, elle refait strictement un personnage fictif. La statue est donc ce personae qui dit le récit.
Ainsi l’auteur s’extirpe-t-il de ce qui pourrait être un piège : se saisir de la vie d’un personnage historique et écrire son récit. Il serait aisé d’écrire une histoire du commerce esclavagiste et du commerce triangulaire qui s’en nourrit. Et possiblement il pourrait s’agir de délivrer une option idéologique. Or en choisissant cette voix narrative qui portera le personnage au cours de son récit, il fait un pas de côté pour embrasser la fiction sans revendiquer l’opération de reconstitution historique que pourrait constituer le témoignage d’une expérience personnelle.

Du « je » au « nous »: un pacte frictionnel pour témoignage

>le point de vue narratif (la focalisation)

Le narrateur est celui qui raconte l’histoire. Il peut avoir plusieurs positions selon la situation dans laquelle il se trouve face à l’histoire.

  • Narrateur interne (point de vue narratif interne) : il est dans l’histoire, il raconte ce qu’il est arrivé. La première personne du singulier et l’accès aux sentiments et ressentis en sont les premiers indices.
  • Narrateur externe (point de vue narratif externe) : il est l’observateur de l’histoire et ne raconte que ce qu’il lui est donné à voir. L’usage des troisièmes personnes du singulier et du pluriel permettent de le repérer.
  • Narrateur omniscient (point de vue narratif omniscient) : il est à la fois témoin et acteur de l’histoire mais surtout il a connaissance des éléments antérieurs et postérieurs à l’histoire. Il sait tout et livre une vue surplombante au récit et a bien souvent accès aux sentiments des personnages.

Le narrateur-personnage est un narrateur interne : il raconte ce qu’il lui est arrivé mais ce n’est pas le cas d’une autobiographie car le « je » ne se confond pas avec celui de l’auteur (ce n’est pas l’auteur qui parle dans le texte).
Dans le cas du roman, le lecteur suit donc le récit d’un narrateur-personnage.
>le contrat de lecture : un pacte de fiction

Le pacte de lecture est le contrat que l’auteur propose à son lecteur à l’entrée de son texte. Cela instaure un rapport de confiance entre les deux et suppose une position du lecteur : soit il crédite l’auteur de sincérité (le cas de l’autobiographie : tout ce qui y est écrit est supposé véridique), soit il s’accorde à appréhender un texte comme fruit de l’imagination (le cas des contes ou du théâtre par exemple : le lecteur sait que ce qui y est écrit relève d’une pure création et il « fait semblant » d’y croire).

Le premier chapitre du récit propose ici un pacte de fiction indiqué par le « je » narratif qui s’incarne dans une statue : le narrateur ne peut donc être le personnage historique, disparu depuis longtemps. Ce n’est pas non plus l’auteur du texte. Le lecteur est donc face à une fiction.

Comme cela a été évoqué, les éléments qui caractérisent le roman permettent de le lire de manière nuancée. Il s’agit en effet à la fois d’un roman historique et d’un roman d’apprentissage qui mêle ainsi une expérience livrée dans une langue poétique dont la valeur testimoniale se double d’une charge à vocation universaliste loin de toute idéologie.

Habilement, Wilfried N’Sondé parvient donc à écrire une fiction, par moment presque intimiste et en tout cas lyrique, qui a pour fondation l’ancrage historique.

Les thèmes : enfermement-liberté/initiation-aventure

En quelques lignes, il s’agit ici d’expliquer le thème et la manière dont le récit s’en empare afin de les présenter aux lecteurs ou de permettre de conduire avec eux la lecture et bien entendu de poursuivre la réflexion et le débat qui peuvent s’ouvrir à l’issue de la découverte du roman.

Le monde des hommes en réduction sur les navires
Le navire négrier tient une place centrale dans le roman puisqu’il est le lieu de l’action pendant une grande partie du récit. Sa fonction marchande s’inscrit dans la géographie indiquée par le titre qui est celle des fondements du capitalisme à l’époque du mercantilisme glorieux permis par l’exploitation des terres américaines et des hommes africains et européens. Il serait alors possible de voir ce bateau comme à la fois le lieu concentrationnaire et un monde en réduction permettant l’observation de la société humaine.
Mais l’auteur ne limite pas son récit à un roman d’enfermement, puisque c’est un homme qui observe ceux qui sont retenus en cale mais qui n’ont pas directement de voix. Ses observations et le flux de sa pensée sortent en permanence de cet univers carcéral ; il n’y est pas physiquement même si par choix, et par nécessité, il se contente de rester dans la petite partie du pont qui lui est réservé. Ainsi gagne-t-il le maintien hors de l’enfermement par la liberté de sa pensée. Il n’est pas considéré comme un prisonnier et bien que noir, il est traité différemment.

En revanche l’organisation décrite du navire permet de comprendre la hiérarchie des hommes dans la société européenne. Ce système est mis en perspective avec le fonctionnement du bateau pirate qui est décrit lui comme un lieu beaucoup plus ouvert à l’équité. Ces mises en parallèle permettent à l’auteur de donner un aperçu de ce que sont les sociétés européennes de l’époque. Mais cela lui assure également de ne pas lui-même rester enfermé dans un genre romanesque. Le roman n’est donc lui pas prisonnier d’un genre et d’une lecture univoque.

La liberté par l’esprit : les mots et la pensée pour s’évader
Ainsi les prières n’ont pas qu’une charge religieuse mais assurent, tant du point de vue narratif que de celui du propos, la sortie d’une assignation historicisante. C’est plutôt un récit de tolérance et d’amour, interrogeant la liberté, que nous propose l’auteur. Ce récit ne cesse en effet d’interroger l’homme et son humanité, l’homme et ses racines, l’homme et ses croyances, avec une certaine lenteur par moments impressionniste qui prend le temps des péripéties : le temps que dure la traversée. L’effet qui en résulte demeure au plus profond de la mémoire, celle de ses personnages mais également celle du lecteur.

La voix de l’ecclésiaste traverse le récit avec amour. C’est une histoire qui expose des faits suscitant une haine compréhensible voire appelant au jugement moral. Mais cela aurait pu en amoindrir la portée. Rien n’est passé sous silence de la monstruosité des hommes contre leurs semblables : des Africains qui, contre vil prix, vendirent leurs ennemis puis, par gout du lucre, des représentants de basses castes de leur propre peuple, les livrèrent aux Blanc dominateurs. Les Européens firent commerce de ces pauvres hères transportés dans des conditions infamantes et livrés rompus, cassés, déformés jusqu’au plus profond de leurs âmes. Revendus avec des bénéfices énormes de l’autre côté de l’Atlantique, ils assurent la satisfaction du goût du café et bientôt du sucre.

Il y a donc sur ce navire et dans ces pages, la folie des hommes et de leurs prétendues absolues vérités qui ne sont en fait que peur, violence, refus de l’altérité et que le bon prêtre ainsi que son lumineux compagnon n’auront de cesse de croiser sans jamais juger autre chose que l’âme des hommes et leur propre humanité. Il est encore intéressant dans cette perspective de relever que c’est une statue qui ouvre le récit et porte la voix : une voix désincarnée pour échapper aux assignations et aux enfermements.

De la candeur à la pleine conscience de la dimension humaine
Un océan, deux mers, trois continents transcende les genres, à la manière de ce personnage masculin-féminin qui incarne de la sorte la pleine humanité. Il est en effet difficile de se limiter à une analyse générique : on peut y voir un roman d’aventure tout autant qu’un roman d’apprentissage ou un conte philosophique. Il y est question d’un Candide africain et ce n’est pas erroné : un roman d’expérience de vie à nulle autre pareille, même si cette biographie tient au moins autant de l’invention pure que de la stricte vérité biographique. Un autre aspect de ce texte presque trop court – tant il est haletant, tant on peine à abandonner cet homme aux calamités de son siècle – est qu’il ravit le lecteur passionné de récits maritimes aussi bien que le lecteur féru de l’histoire de cette période de la Contre-Réforme. Cet aspect permet là encore à l’auteur d’échapper à toute tentation idéologique : le prêtre est témoin et acteur, mué par sa foi mais grandissant lui aussi. L’histoire collective devient le terreau de son histoire à vocation universelle mais pas uniquement didactique.

D’autres thèmes peuvent être exploités ou donner lieu à une réflexion collective…
>> Un focus sur le dernier chapitre et la scène de Carnaval lors de l’arrivée de Nsaku Ne Vunda à Rome permet d’aborder le thème du renversement des valeurs, fréquent dans la littérature du XVIème siècle (pensons à Rabelais et aux analyses de Mikhaïl Bakhtine ) et qui met ici en avant la permanence de la foi du prêtre contre l’horreur, mise en œuvre par la société des hommes.
>> De quelle mémoire est-il question ? Le rapport au temps permet de saisir la dimension universelle des faits rapportés et de leur intemporalité, de leur permanence. C’est à nouveau une interrogation qui croise les problématiques du genre et celle du propos développé dans le rapport entre littérature et histoire .

HORIZONS 

Des pistes pour élargir les thèmes du récit et la fréquentation de fictions à mettre en parallèle avec le roman.

Echos haïtiens

  • Massillon Coicou, «Complaintes d’esclaves», Poésie nationale, (1892, Paris). Complaintes d’esclaves est un poème où Massillon Coicou s’interroge sur la fatalité de la couleur de la peau de l’esclave et fait écho à ces corps fouettés, entassés dans les cales du Vent Paraclet
  • Louis Phillipe Dalembert, L’ile du bout des rêves (les éditions du rocher, 2007). Un roman d’aventure où le héros traverse Naples, Bahia, Cuba jusqu’à l’ile de la Tortue à la recherche d’un trésor enfoui par Pauline Bonaparte, la sœur de l’empereur.
  • Emeric Bergeaux, Stella (Editions Zoe, 2009). Premier roman haïtien où deux fils d’une esclave combattent pour l’indépendance. Stella, une allégorie de la liberté, sera leur guide.
  • Georges Anglade, Les blancs de mémoire (Boreal, 1999). Les trente-quatre lodyans (récits oraux) de ce recueil traversent l’histoire d’Haïti pour combler les blancs de la mémoire et de l’histoire.

En référence

Bibliographie

  • Conrad, Joseph, Au cœur des ténèbres (1898 – première édition en français en
  • 1925)
  • Diome, Fatou, Le ventre de l’Atlantique (2003)
  • Hugo, Victor, Bug-Jargal (1818)
  • Montesquieu, Lettres persanes (1721)
  • Voltaire, Candide ou l’optimisme (1759)

Filmographie

  • Le passage du milieu, réalisation de Guy Deslauriers, scénario Patrick Chamoiseau et Claude Chovillon (1999)

LISTE DES ACTIVITÉS PÉDAGOGIQUES 

Le paratexte

Activités orales pour entrer dans la lecture :

>A partir du titre, formuler des hypothèses de lecture.
>De quels océans et de quelles mers peut-il être question ?
>Qu’annonce l’autocitation ? Quel message est adressé au lecteur ?

Le contexte historique et culturel

Activités écrites à réaliser au début de la lecture:

>Décrire et analyser un document iconographique
>Lire et établir une carte historique
>Faire le récit en une vingtaine de lignes de la vie de Martin avant qu’il ne s’embarque sur le navire. Faire comprendre les raisons pour lesquelles il s’enfuit de sa campagne.
>Faire le portrait du Raïs Dali et expliquer les raisons pour lesquelles il serait devenu corsaire. Utiliser les connaissances abordées et les précisions données par le roman.

A bord du récit

activités écrites et orales à réaliser au cours de la lecture:

>Chercher des exemples de romans ou récits du même genre et expliquer à l’oral comment les comparer avec le texte étudié.
> A quel type de récit le roman appartient-il ? S’aider des notions et exemples pour construire un paragraphe argumenté expliquant la réponse (individuel ou en binôme)
>Analyser (relever et commenter les figures de style et les champs lexicaux notamment) un court passage au choix où le registre merveilleux et/ou lyrique peut illustrer la langue poétique du roman.
> Repérer les dates dans le récit pour établir la chronologie des faits.
> Rappeler les évènements historiques auxquels ces dates correspondent.
> Etablir l’arc narratif à partir des étapes du récit ; sous forme de tableau par exemple.
> Faire la liste des principaux personnages et les positionner par rapport à l’action principale.
>Faire le portrait moral en cinq lignes maximum des deux personnages principaux.
> A quel type d’incipit appartient le début du roman ? Rappel de notions.

Activité d’écriture finale (à réaliser à la fin de la lecture)

>Ecritures d’invention :
>>Rédiger une lettre que Nsaku Ne Vunda aurait adressée au roi du Kongo à son arrivée au Vatican avant de rencontrer le pape. Réutiliser les codes de la lettre et toutes les informations livrées par le texte. Montrer la motivation indéfectible du prêtre.
>> A partir de lectures et de connaissances personnelles, choisir un personnage historique et raconter un épisode remarquable de son existence où il se sera battu pour sa liberté. Penser à utiliser les ressources de la fiction à la manière de Wilfried N’Sondé.
>Ecriture d’argumentation :
>> Ecrire le plaidoyer de Nsaku Ne vunda face au pape Paul V pour défendre l’abolition de l’esclavage.