Comment la littérature haïtienne nous apprend à penser autrement

{ 17-07-2015 - Haïti }

Source : CEC

Dans les littératures dites postcoloniales, celle d’Haïti revêt une place considérable, tant par l’épaisseur de la production, que par la diversité des thèmes qu’elle aborde. Il est sans doute un aspect antérieur à cette considération : son insoumission. La littérature haïtienne est peut-être d’abord un geste déclaratif : elle proclame que l’esclave ne l’est pas par nature, mais bien par asservissement, c’est-à-dire d’un droit fondé sur le droit de la force, c’est-à-dire l’absence de droit. Certes, il est devenu presque un stéréotype d’articuler ce geste de libération à la face sombre de la pensée des Lumières. L’ouvrage de Michel-René Hilliard d’Auberteuil, par exemple, Considérations sur l’état présent de la colonie française de Saint-Domingue, publié à Paris en 1776, donne un certain nombre d’éclairages. Si l’État a promulgué des édits visant à protéger les esclaves, du point de vue de leur caractérisation comme force de travail, ces législations successives s’avèrent insuffisantes : « … cela n’empêche pas que des Negres ne périssent journellement dans les chaînes, ou sous le fouet ; qu’ils ne soient assommés, étouffés, brûlés sans aucune formalité : tant de cruautés reste toujours impunie, & ceux qui l’exercent sont ordinairement des scélérats réfugiés, ou des gens nés dans la fange des villes de l’Europe ; les hommes les plus vils sont aussi les plus barbares ». Le même auteur – qui fut sans doute assassiné par un des tenants de la colonie -, envisage l’Africain comme une altérité vivante, objet de soins possibles, qui le rendent civilisable : « Les Negres sont bons & faciles à conduire ; ils sont laborieux quand ils ne sont pas découragés ; aucune espèce d’homme n’a plus d’intelligence ; elle se développe même chez eux avant qu’ils soient civilisés, parce qu’ils ont beaucoup de cette bonne volonté, qui donne en même temps la force de travailler & les dispositions nécessaires pour le travail. Si nous voulons en exiger de grands ouvrages, il faut les traiter humainement & les accoutumer gradativement à une discipline exacte & invariable . Il ne faut rien leur retrancher sur le tems du repos, ni sur celui qui leur est nécessaire pour cultiver des vivres ; il faut en avoir un grand soin dans leurs maladies ; il faut les rendre heureux : cela n’est pas difficile, car ils se contentent de peu ». Ce double mouvement de la pensée sera un des stéréotypes les plus puissants dans la perception de la lutte contre l’esclavage. Il n’opère, on le voit bien, qu’un très léger déplacement du point de vue instrumentaliste et techniciste. Ce passé relativement récent au regard de l’histoire des nations n’est pas totalement éteint. Lire la suite de l’article.