Petit Pays, un livre, Gaël Faye, un univers

{ 06-04-2017 - Belgique }

Source : CEC

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L2200476     ©Julien Truddaïu

C’est fou ce que le souvenir des petites choses survenues le temps de suivre une journée de Gaël Faye à Bruxelles peut comprendre comme émotions (crédits photos: ©Julien Truddaïu).

Nous sommes le 14 mars 2017. Gaël est arrivé la veille pour un passage remarqué à la Foire du Livre de Bruxelles. CEC l’embarque dans une salle de cinéma. Il visionne avec des élèves bruxellois le film « Les héritiers ». Il est bien évidemment touché par ce film. Les questions de la salle se focalisent d’abord sur la question du génocide. Gaël est enfant au Burundi quand le génocide au Rwanda a lieu. Il rappelle que tout génocide commence toujours par la diffusion de mots qui n’ont d’objet que la déshumanisation. Son travail ne porte pas que sur le génocide et la guerre, il écrit sur tout, sur ses appartenances et toutes les choses auxquelles il tient. Il peut crier sa colère, écrire l’ennui des après-midi sans fin comme il peut chanter l’amour. Quand on lui demande de parler de ses origines franco-rwandaises, sa vérité, c’est celle-ci : « quand deux fleuves se rencontrent, ils n’en forment plus qu’un et par fusion, nos cultures deviennent indistinctes, elles s’imbriquent et s’encastrent pour ne former qu’un bloc d’humanité debout sur un socle. » Bien heureuse cette petite centaine d’élèves qui a pu entendre le généreux Gaël Faye ce matin-là qui a clôturé la rencontre par un slam en hommage à sa femme.

On poursuit en accueillant son complice Samuel Kamanzi à la Gare du Midi. Celui-ci porte sur son visage doux une voix exceptionnelle et le son pure de sa guitare, que j’avais déjà eu la chance d’entendre à Kigali. A deux, dans la bibliothèque de CEC, ils parcourent le livre « PluriElles, femmes africaines en diapora ». Ils y retrouvent le portrait d’une amie rwandaise. « Elle a un véritable parcours d’héroïne », dit Samuel. « Et elle n’est pas la seule. » Plus on avance, plus je réalise que ce n’est pas une journée comme les autres.

On se prépare pour partir au Senghor pour le « soundcheck », la prochaine étape étant une lecture musicale de Petit pays.[1] La salle s’annonce bien remplie. L’événement est « sold-out » après deux jours d’annonce sur facebook.

Au fur et à mesure du passage de différents visiteurs pour Gaël, je me rends compte que ce n’est pas un livre qui sera présenté en soirée, mais bien un univers. Gaël Faye se mets dans la peau de Gabriel, le narrateur de son livre. On le voit petit, avec ses camarades de classe, qui étaient dans la salle. On le voit échangeant avec sa marraine Rose, dans la salle également et tellement émue et admirative devant Gaël qu’elle n’avait plus vu depuis si longtemps. Il y avait certainement des cousins, d’autres amis d’enfance, des rappeurs… L’univers de Gaël Faye est infini et il est aussi en Belgique.

Tout semble imbriqué au départ d’un fondement solide : son enfance. Il l’avait perdue, elle lui a inspiré un roman. Comme le dit le narrateur de Petit Pays « il pensait être exilé de son pays, il a compris qu’il l’était de son enfance ». Quand on retrouve l’enfant qui est en soi, tout est possible, l’élan de la vie peut nous porter bien loin. Et c’est ce qu’on sent que Gaël Faye peut transmettre quand il rencontre les jeunes, que ce soit à Kigali ou à Bruxelles, il a confiance en la vie et il donne confiance en la vie. Ceci laisse la porte ouverte aux surprises : une jeune femme dans le public lui demande en fin de soirée de lui chanter pour elle encore une petite chanson… Hold-up scénique qu’il accepte sans se faire désirer.

La lecture passe du slam à la littérature, de son album Pili-pili sur un croissant au beurre à son livre Petit Pays. Décidément, l’histoire des fleuves qui se rencontrent s’applique à son moi le plus profond tout comme à sa pratique artistique : il n’est ni un musicien, ni un poète, ni un romancier, il est tout à la fois. Normal, car ne dit-il pas « depuis que j’étais haut comme trois mangues, j’avais décidé de ne plus me définir. ». Oups, c’est Ga-bri-el qui parle et non Ga-ël-el.

J’ai rarement senti une salle en telle communion. La petite et la grande histoire tout comme le réel et la fiction, s’entremêlent pour ce public connecté sur les mêmes ondes le temps du spectacle.

Comme dans une longue procession, chacun attend son tour pour rencontrer Gaël Faye. Installé sur la scène pour la séance de dédicace, il se lève et se dirige, comme dans un rite d’accueil, vers chaque nouvelle personne qui se présente à lui. Un regard sincère, une poignée de main, une accolade et chaque échange est une histoire en soi.

Il donne, il donne, et il reçoit aussi en partage une magnifique lecture d’un extrait de son roman déjà traduit en Kinyarwanda[2] qui a pour but de voyager entre les mains des écoliers rwandais.

Chapeau bas, artiste au grand cœur !

Dominique Gillerot – Coopération Education Culture (CEC)

 

Reportage de la soirée par Aimable Karirima, journaliste


[1] La lecture musicale  (une création Maison de la poésie / Scène littéraire – Paris avec le soutien de la Sacem) est organisée par Coopération Education Culture (CEC), en partenariat avec Le Senghor et avec le soutien de l’Echevine de la culture et des académies Colette NJOMGANG-FONKEU et le collège des bourgmestre et échevins d’Etterbeek. La lecture est suivie d’une rencontre avec Gaël Faye et Dorcy Rugamba (RAI), autour du projet de diffusion du livre en kinyarwanda au Rwanda.

[2] Rwanda Arts Initiative (RAI), ONG culturelle rwandaise, assure la traduction du livre, sa production en trois format (papier, audio et numérique) et sa distribution dans les écoles au Rwanda. Le livre en kinyarwanda sera également rendu accessible en Europe et via les librairies en ligne. Ce projet est soutenu par Africalia et la Coopération belge au développement. CEC collabore à un dossier pédagogique qui accompagnera le livre. La lecture a été réalisée par Tinne Kickens.