Chronique

Chronique littéraire de Bernard Magnier - Source CEC -

Surtout et avant tout critique universitaire, Mbwil a Mpang Ngal a publié deux récits originaux qui peuvent être lus indépendamment l’un de l’autre mais constituent néanmoins un ensemble indissociable : "Giambatista Viko ou le viol du discours africain", en 1975, et, quatre ans plus tard, "L’errance". Deux récits qui s’inscrivent dans une veine identique mêlant à la fois la recherche formelle et la pratique romanesque dans une même quête philosophique, utopique et généreuse.

Après avoir consacré l’essentiel de son temps à l’enseignement et à la critique universitaire en publiant plusieurs travaux consacrés, en particulier à l’écrivain martiniquais Aimé Césaire (« Le théâtre d'Aimé Césaire : une dramaturgie de la décolonisation ») et à la littérature africaine d'expression française (« Tendances actuelles de la littérature africaine »), le Congolais Mbwil a Mpang (qui signe aussi Georges) Ngal a franchi le pas de la fiction avec ces deux récits tout en conservant ses préoccupations premières.

Giambatista Viko, le héros de son premier récit, est un jeune intellectuel africain fortement influencé par la culture européenne, qui, en compagnie de son ami métis, Niaiseux, s’efforce de concilier les cultures africaines et occidentales afin de parvenir à une création littéraire harmonieuse et originale. Il rêve d'écrire "un roman sur le modèle du conte" libéré du "carcan occidental" en souhaitant "la fécondation du roman par l'oralité". Une entreprise qui relève à la fois du Graal inaccessible de l’ « impossible rêve » ou, en d’autres termes et comme aurait pu le formuler le romancier sénégalais Cheikh Hamidou Kane, de « l’aventure ambiguë ». En effet, accusé de sacrifier la culture africaine et de la soumettre aux exigences occidentales, Giambatista Viko est arrêté et jugé pour "viol du discours africain". A l'issue d'un procès, il est condamné à "l'opération retour au pays natal" et donc à ... l'errance.

Le deuxième récit (L'errance) est la suite et la conséquence immédiate de la peine prononcée dans le premier volume. Condamnés à errer, Giambatista Viko et Niaiseux ont fréquenté divers lieux de culture où ils ont réappris la richesse et les vertus de la tradition africaine. Tous deux entreprennent de rédiger un récit qui serait la transcription de leur expérience. Ils prennent pour héros Pipi Milandole, intellectuel qui, par bien des aspects, se révèle être le double de Giambatista, caricature de l'intellectuel aliéné à l'idéologie incertaine, totalement dépendant de la culture occidentale et prêt à toutes les concessions pour parvenir au pouvoir.

L'essentiel du livre est bâti selon le principe d'un dialogue entre Giambatista Viko et Niaiseux. Leurs échanges sont entrecoupés de parties narratives mais aussi de contes, proverbes et poèmes. Ce mélange des genres apparaît bien évidemment comme une tentative de mise en pratique des théories romanesques avancées par Giambatista Viko. Ces dernières consistant à créer une "science littéraire nouvelle", à l’instar du savant philosophe italien dont il porte le nom qui avait, lui aussi, envisagé une "science nouvelle" qui inspira Michelet et jeta les bases de l'historiographie moderne.

Dans ces deux récits, Mbwil a Mpang Ngal, qui est né en 1933 à Mayanda et qui a enseigné dans les universités de Lovanium et de Lubumbashi mais aussi dans diverses universités américaines et européennes (Paris, Grenoble, Bayreuth), entreprend une réflexion sur l'authenticité du discours littéraire africain, ses doutes et ses limites. Ses deux textes tiennent davantage de l'essai philosophique (certains passages évoquent les dialogues de Jacques le fataliste) dans lequel l'universitaire congolais se montre critique à la fois avec les tenants d'une tradition, immuable et sclérosante, mais aussi avec les intellectuels totalement asservis à une forme de pensée et d'expression étrangère, et singulièrement, européenne.

Avec ses deux récits, Ngal se range ainsi, aux côtés de V. Y. Mudimbe ou Pius Ngandu Nkashama, parmi les écrivains congolais qui privilégient une approche plus intellectuelle que populaire et dont les oeuvres constituent en elles-mêmes une réflexion sur l'écriture. On pourrait volontiers voir dans cette démarche une sorte de marque de fabrique de la littérature de la République démocratique du Congo, une trace de la formation et des humanités qui ont fait de bon nombre de créateurs congolais des théoriciens en quête de pratique fictionnelle. Plus tard, Ngal a poursuivi cette double voie en publiant en 1994, un essai critique, "Création et rupture en littérature africaine" (L’Harmattan), en 1999, une réflexion philosophique, "Esquisse d’une philosophie du style négro-africain" (Nouvelles Editions du sud) et deux romans, "Une saison de symphonie" (L’Harmattan) et "Un prétendant valeureux", destiné aux jeunes lecteurs (Hurtubise).