Extrait

« Une foule suant l’ivresse se pressait derrière la troupe constituée par Batouala, les anciens, les chefs et leurs capitas. Il y eut des injures, des insultes. Batouala avait mille fois raison. On vivait heureux, jadis, avant la venue des « boundjous ». Travailler peu, et pour soi, manger, boire et dormis ; de loin en loin, des palabres sanglantes où l’on arrachait le foie des morts pour manger leur courage et se l’incorporer – tels étaient les seuls travaux des noirs, jadis, avant la venue des blancs.

A présent, les nègres n’étaient plus que des esclaves. Il n’y avait rien à espérer d’une race sans cœur. Car les « boundjous » n’avaient pas de cœur. N’abandonnaient-ils pas les enfants qu’ils avaient des femmes noires ? Se sachant fils de blanc, ces derniers, devenus grands, ne daignaient pas fréquenter les nègres. Et ces blancs-noirs, en bons « boundjouvoukos » qu’ils étaient, vivaient une vie à part, plein de haine, suintant l’envie exécrée de tous, pourris de défauts, malfaisants et paresseux.»

René Maran, Batouala, Albin Michel, Paris, 1938, pp.98-99.