Chronique

Chronique littéraire de Naïma Lehainy, proposée dans le cadre d'un numéro spécial de la revue Indications "Romans d'Afrique et des diasporas" (2010, co-édition CEC-Indications asbl) - source: CEC -

En l’an 1420 de notre ère, alors que le dictateur sanguinaire, Saïf Moché Gabbai de Honaïne, règne sur l’empire Nakem, un devin lui prédit la naissance dans l’année en cours, de celui qui marquera la fin de son règne.

Cette prophétie poussera le tyran à exécuter tous les nouveaux nés de la ville. Une mère, de loin plus fortunée que les autres, réussira cependant à éloigner son fils de ce destin macabre. Ce fils, Isaac El Héit, deviendra Saïf Isaac El Héit et règnera sur l’empire Nakem jusqu’en 1498.

La singularité de cet empereur doux et juste hante aujourd’hui encore les imaginations populaires, qui consacrent à travers lui l’illusion d’un passé glorieux. Car, Saïf Isaak El Heit laissera derrière lui une descendance bien peu légendaire.

Des potentats, rivalisant de cruauté, fouleront le sol de l’empire Nakem, asseyant leur pouvoir en semant la terreur et faisant de l’esclavage une source de prospérité. L’ héritier au 20ème siècle de ce patrimoine sanguinolent ira même jusqu’à pactiser avec le colonisateur blanc.

En arrière fond de cette épopée sombre se dresse la silhouette de Raymond Kassoumi, de retour au grand Nakem pour s’engager dans la vie politique après des études en France. Ce personnage, né d’une histoire d’amour entre deux serfs, incarne-t-il peut-être l’espoir venu « d’en bas ».

A travers la saga de la dynastie fictive des Saïf, Yambo Ouologem dresse le portrait d’une Afrique au visage peu connu et dont la déchéance s’annonçait bien avant la venue des puissances colonisatrices. Puisque « avec l’aristocratie notable, le colonialiste, depuis longtemps en place, n’était autre que le Saïf, dont le conquérant européen faisait – tout à son insu- le jeu. »

Critique de l’histoire ou histoire romancée, ce récit, dont l’auteur fut accusé de plagiat, est avant tout une remise en cause de la thèse classique d’une Afrique martyrisée par le colonialisme et met en avant une Afrique où la victime n’est autre que l’auteur de sa propre tragédie.