Chronique

Une chronique littéraire de Bernard Magnier - Source CEC -

Résumé: Alors qu’il est en exil, Camara apprend que le P.D.G., le président Dictateur Général de son pays, la Guinée, vient de mourir. La nouvelle est d’importance et doit être pour Camara l’occasion d’un bouleversement dans sa vie. Il décide de prendre en main son destin et de vivre pleinement une vie jusqu’alors subie. Au même moment, son cousin, Laye, lui demande de rentrer au pays afin de recevoir l’héritage d’une parente récemment décédée. C’est l’occasion d’un retour au pays natal dont il attend beaucoup, au point d’emmener avec lui son fils, Mori afin qu’il vive lui aussi cette belle aventure…

La désillusion sera brutale et, tel un signe annonciateur, son arrivée dans le pays est marquée par sa chute, depuis la passerelle de l’avion jusque sur le sol du tarmac de l’aéroport de Conakry… Alors que Camara escomptait un retour triomphal, seul son cousin vient l’attendre et Camara ira de déceptions en désillusions redécouvrant un pays qu’il a peine à reconnaître. Il se rend dans sa ville natale, Kankan, mais n’en retrouve pas les images véhiculées par le souvenir , quant à l’héritage escompté, il se révèle être bien maigre. Amer, il quitte son pays sur cette phrase désabusée : "j'allumai une cigarette et regardai la pluie laver mon pays. Il en avait besoin".

Si on ne retrouve pas dans ce livre la rigueur d'écriture des premiers romans de Williams Sassine -et tout particulièrement du Jeune homme de sable-, c'est sans doute parce que son auteur a choisi d'exorciser dans l'urgence, par le rire et le burlesque, le drame de son pays et le sien propre. Rompant avec la gravité austère de ses oeuvres précédentes, Williams Sassine amplifie, dans ce roman iconoclaste, la férocité et la noirceur d'un humour caustique qui perçait déjà, ça et là, dans ses autres romans. C’est en ce sens que ce roman constitue une rupture dans l’œuvre de l’écrivain.

Bien qu'il tente de masquer son désarroi et de maintenir l'apparence du bonheur et de la réussite, Camara, son "zéhéros" (ce "mélange de zéros et de héros") fort de l'illusion de "n'être pas n'importe qui", est en décalage permanent avec la réalité qu'il côtoie. Il vit des retrouvailles râtées avec son pays. Il est en porte à faux dans ce monde qui a évolué –et sombré !- sans lui. Il vit la douleur et les contradictions de ceux qui ont vécu l’exil et qui se retrouvent confrontés à ceux qui ont vécu, du dedans, l’oppression et la répression d’une dictature sanglante.

Sous la trame de ce roman, il est facile de retrouver la transcription d'une douloureuse expérience vécue : celle d'un homme, qui avait dû quitter très tôt son pays muselé sous la dictature sanglante de Sékou Touré, pour un long exil de vingt cinq années. Provocateur et nihiliste, Williams Sassine a volontiers entretenu l’image d’un homme désabusé qui se montrait amer sur sa condition d’écrivain confiant avec tristesse : "je suis écrivain c'est-à-dire j'écris en vain".