Chronique

Petit Piment serait un Gavroche du 20ième siècle africain


- Une chronique littéraire de Yahia Belaskri - source: CEC -


C’est une véritable œuvre que construit l’auteur Franco-Congolais. Entre romans, récits, essais et poésie, il tisse inlassablement une fresque remarquable de son Congo natal. Distingué par un grand nombre de prix dont le Renaudot en 2006 pour Mémoires de Porc-épic ou le grand prix de la littérature Henri Gal décerné par l’académie française pour l’ensemble de son œuvre, finaliste du Man Booker International Prize 2015, Mabanckou revient avec ce onzième roman à la veine qui irriguait Verre cassé. Avec Demain j’aurai vingt-ans ou Lumières de Pointe-Noire, l’écrivain avait délaissé quelque peu son univers pour nous livrer des textes intimistes, autobiographiques. Petit Piment c’est le retour à la fable. Avec le talent que nous lui connaissons.

Avec Lumières de Pointe-Noire, l’écrivain souhaitait « s’arrêter au bord du ruisseau des origines, le pas suspendu, dans l’espoir d’immobiliser le cours d’une existence agitée par ces myriades de feuilles détachées de l’arbre généalogique. » Avec Petit Piment c’est le lieu-source comme le définit Jean Rouaud, c’est-à-dire en « parlant en connaissance de cause », qui émerge : Pointe-Noire, en quelque sorte les origines, toujours.

L’écrivain puise certainement dans ses souvenirs d’enfant mais ce n’est pas autobiographique. C’est une belle fiction racontée avec inventivité et truculence. Des portraits bien saisis, un rythme vif et des situations cocasses sans que le drame soit loin. C’est l’histoire d’un enfant prénommé Tokumisa Nzambe po Mose yamoyindo abotami namboka ya Bakoko (ce qui veut dire en lingala « Rendons grâce à Dieu, le Moïse noir est né sur la terre des ancêtres »), qui sera surnommé Petit Piment car il pimente la nourriture des frères jumeaux Songi-Songi et Tala-Tala, véritables terreurs de l’orphelinat. Le ton est donné ! Le petit Moïse, orphelin placé dès la naissance dans une institution religieuse dirigée par un potentat, en plus incapable et présomptueux, va s’enfuir de cet espace qui ressemble à une prison et suit les deux frères qui l’entraînent dans les bas-fonds de Pointe-Noire où il va vivre sa « liberté de chien errant dans une ville qui semblait tout broyer. » Et ce sera réellement une vie de chien. Il fera toutes sortes de besognes, osera tous sortes de larcins, depuis les vélos jusqu’aux pneus de voitures, commettra des agressions contre les « Blancs du centre-ville » et rencontrera tous les profils de voyous : les aveugles, les paralytiques, le bègue unijambiste, l’Esprit Sein, un jeune de 21 ans qui passait son temps à dessiner des seins de femmes sur les façades des immeubles, ceux qui mangent les chats. Toute une galerie de portraits qui donne la mesure de la misère sociale qui régnait à Pointe-Noire dans les années 60-70.

Suite à une action énergique de la Mairie contre les « moustiques du Grand marché », Petit Piment et sa bande seront chassés du quartier où ils opéraient. Ce sera sa chance car, en se baladant dans ailleurs dans le quartier Trois-cent il rencontre une « dame, petite de taille, vêtue tout de rouge avec un foulard blanc et qui s’apprêtait à traverser la rue (…), des sacs de courses dans les mains. » C’est Maman Fiat 500, patronne d’un bordel à Pointe-Noire. Il devient son boy, vit dans le bordel et sera heureux de cet état. La mère maquerelle, une vraie figure superbement décrite, va prendre soin du jeune déclassé et lui redonner un peu d’espoir. C’était sans compter avec le Maire de Pointe-Noire –encore une fois- qui voulait nettoyer sa ville. C’est ainsi qu’il lança une opération d’envergure « Pointe-Noire sans putes zaïroises » car le socialisme n’empêche pas le nationalisme de s’exposer avec virulence et les putes congolaises sont prioritaires ! C’est la chasse aux sorcières et Maman Fiat 500 et « ses filles » ont disparu de la ville au grand désarroi de Petit Piment qui retrouve la rue, ses dangers, ses fantômes et ses démons.

Avec le talent qu’on lui connaît, l’écrivain Franco-congolais dépeint la ville de Pointe-Noire des années 60-70 et, au-delà le Congo de ces années « où la révolution (leur) était tombée dessus comme une pluie que même nos féticheurs les plus glorifiés n’avaient vue venir. » Avec beaucoup d’humour, se révèle le Congo du socialisme spécifique, du parti unique et de la pensée unique.

Dans ce roman, la légèreté n’est pas loin du drame et Petit Piment va connaître toutes les humiliations et tous les rejets. Il se défend comme il peut, essaie de travailler, d’être gentil mais sans cesse la réalité le rattrape car il n’a personne qui puisse l’aider. Certes, il croise nombre d’âmes charitables qui vont lui tendre la main mais l’adversité est plus forte. Et le gamin des rues va s’enfoncer jusqu’au bout. Avec beaucoup de finesse, de l’humour et du sarcasme, Mabanckou donne à voir une société implacable avec le faible quand bien même le discours socialisant se veut égalitaire et juste.

Le final du texte est juste beau, inattendu, émouvant. Avec ce roman, l’écrivain renoue avec la verve qu’on lui connaît. Le style est fluide, la langue matinée de dialecte lingala savoureux, le rythme soutenu et la fin étonnante et belle. Lui, l’enfant de Pointe-Noire rend hommage à « ces errants de la Côte sauvage qui, pendant (son) séjour à Pointe-Noire, (lui) ont raconté des tranches de leur vie, et surtout à Petit Piment qui tenait à être un personnage de fiction parce qu’il en avait assez d’en être un dans la vie réelle ». Petit Piment serait un Gavroche du 20ème siècle africain.