Chronique

Le voleur de sexe de Janis Otsiemi ou au cœur de la ville

Chronique littéraire de Sami Tchak - source: CEC

Janis Otsiemi s’est fait maintenant un nom, et a déjà une production importante. Avec Les voleurs de sexe, un titre qui, d’emblée, nous évoque des faits divers aux conclusions tragiques dans beaucoup de pays africains (le Tchadien Nocky Djedanoum leur avait consacré une pièce de théâtre, Les sextirpateurs), le polariste gabonais nous embarque encore à bord de sa plume alerte pour un voyage mouvementé. Mais où nous mènera-t-il ?

Là aussi, Janis Otsiemi n’est pas écrivain à tracer une ligne droite, il emprunte ici trois directions, dont la moins importante est d’ailleurs celle qui donne son titre au roman. La première. Un accident de voiture. Trois amis, Tata, Balard et Benito, de sympathiques truands, en sont témoins et parviennent à s’emparer de la mallette de la victime. Dedans, du fric, mais surtout, des photos compromettantes, montrant le président de la république Papa Roméo lors d’une cérémonie franc-maçonnique très secrète. Tout part de là : les trois amis passent par un fait-diversier, Gaspard Mondjo, pour tenter de rentabiliser leur précieux et explosif butin. Deuxième histoire : lynchages d’hommes accusés du vol du sexe d’autres hommes juste en leur serrant la main (le sexe de la victime ne disparaît pas, mais se rétrécit). Derrière ces faits divers, un escroc nigérian au nom d’Odjuku. Troisième histoire. Un Chinois avec trente millions de francs CFA et poussière pour payer ses employés. Mais trois truands sont informés de la date de cette transaction, il s’agit de Kader, de Pepito et de Poupon. Alors ? Alors, un plan est élaboré pour attaquer le Chinois. Les armes seront fournies par le capitaine Pierre Koumba, directeur des affaires criminels (il demande la moitié du butin.)

Et comment se dérouleront, se termineront toutes ces histoires ? C’est sans doute pour le savoir que l’on va au texte. Donc, lire Les voleurs de sexe. Il est cependant utile d’aborder ce roman sur un plan strictement littéraire. Comme tous ses autres textes, Janis Otsiemi use ici d’une langue directe pour construire un univers hyperréaliste, où les mots disent ce qu’ils disent. En art on aurait parlé du figuratif. « Au marché Bananes, Li Chang s’arrêta à l’essencerie pour faire le plein. Pepito et ses copains se garèrent plus loin devant un étalagiste qui vendait des CD piratés. Une baffle dissimulée sous son étal lâchait dans l’air des décibels à vous rompre le tympan » (p. 120). Les mots argotiques ou les néologismes (les gabonismes), dont l’auteur donne le sens en notes de bas de page sont en général directement intelligibles, car ils s’insèrent dans les phrases sans en bousculer la structure ni le sens. Leur fonction ? Juste remplacer d’autres mots. Page 13 : « Deux minutes s’écoulèrent sans que Tata n’échange un mot avec Benito. Tata connaissait sa têtutesse quand il ne voulait pas l’ouvrir » (têtutesse = opiniâtreté). Page 16 : « Tata n’avait pas été plus loin que le cours secondaire première année, mais c’était un tchatcheur né quand il s’agissait de verber une fille » (verber = draguer). Les dialogues sont tout aussi dépouillés, ramenés à l’essentiel, sans effet de style :

«  - C’est quoi cette fois votre affaire ?

«  - On va se faire un Chinois. Il dirige une société forestière. D’après les informations que nous a filées un gamin qui y a travaillé, le type trimbalerait avec lui un joli paquet de fric chaque fin de mois pour payer ses employés.

« - Combien ?

«  - Pas moins de 30 bâtons. Au bas mot » (p. 87).

C’est ça Janis Otsiemi, la mobilisation d’une langue limpide pour mieux entrer dans les entrailles d’une ville, dans les coulisses des âmes, dans les clairs-obscurs de ses personnages qui, petit à petit, deviennent l’allégorie d’une réalité beaucoup plus complexe que leurs petits rêves, leurs actes délictueux, criminels. Nous voyons s’installer le suspense, nous nous familiarisons avec l’univers et les personnages, nous entrons progressivement dans ce monde où les délinquants, les hors-la-loi se retrouvent main dans la main avec des policiers, mais pour des complicités fragiles car, au cœur de ces alliances plus ou moins durables autour des mêmes intérêts, sur le dos des victimes, ces partenaires se jouent des tours, rusent pour tenter de conserver, sinon tout, du moins la plus grosse part du gâteau. Des rues des Akébé, nom d’un ensemble de quartiers populaires de Libreville, jusque dans les bureaux des policiers (en filigrane on dira jusqu’au sommet de l’État), il y a un trait d’union de fange morale.

Ce serait simplifier que de parler de la corruption, car, à notre avis, bien qu’il dénonce ce fléau universel aux modalités plus ou moins spécifiques à chaque société, Janis Otsiemi, dans ce roman comme dans les autres qu’il a déjà signés, décrit surtout des logiques sociales et économiques devenues normales, à force d’être générales. Avec des jeunes, presque des gosses, qui font des plans d’escroquerie sur fond de chantage ou préparent un braquage en toute décontraction (les hésitations des uns n’affleurent que pour se dissiper aussitôt, les réflexions sur les dangers potentiels étant assez fragiles pour être dissuasives), et avec ces policiers qui sont aussi à l'aise dans leur devoir que dans leur implication au moins indirecte dans les crimes de sang, avec les trois histoires du roman de Janis Otsiemi, parallèlement menées du début à la fin, c’est une vie presque ordinaire qui se dessine. En filigrane, au prétexte des enquêtes et des escroqueries diverses, se dessine une trame complexe de relations sociales, de sang et d'intérêt.

Avec une approche fait-diversière, Janis Otsiemi apparaît aussi comme un scénariste doué, si bien que ses romans défilent à l’allure d’un film, à la vitesse des appétits, des vies d’en bas qui se chargent des rêves d’en haut sur les classiques raccourcis du fric. Dans Les voleurs de sexe, l’auteur fait de son triptyque récurrent, sexe-sang-fric, un usage plutôt modéré. Jamais une description qui nous installe dans le rôle confortable ou gênant de voyeur. Tout est plutôt laissé à notre imagination. Janis Otsiemi nous en fournit suffisamment d’ingrédients. À nous, si cela nous chante, d’écrire à partir de là notre propre roman de lecteur.

Les voleurs de sexe : au plus clair des fragments de vie observés à partir du Gabon !