{ Max Lobe }

Chronique

Chronique littéraire de Jean-Claude Kangomba - source: CEC -

La Trinité bantoue, deuxième roman de Max Lobe, narre les tribulations de Mwana Matatizo, parti de son "Bantouland" natal pour venir tenter l'aventure de l'intégration professionnelle en "Helvétie". Malgré ses brillantes études à l'université de Genève, Mwana peine à trouver un travail à la mesure de ses qualifications.

Le jeune homme collectionne de petits jobs au petit bonheur la chance, qui lui permettent à peine de payer son loyer et de prendre soin de lui. On apprend ainsi que Mwana et Ruedi, son compagnon de vie, ne sont pas assurés d'avoir un repas tous les jours, lors même que ce dernier est fils de banquier (mais pétri de honte à l'idée de se faire entretenir par sa famille)… La déchéance est complète quand le couple passe du colis alimentaire mensuel au service social pour nécessiteux.

Un moment, Mwana envisage même un retour au Bantouland, mais l'idée d'affronter la déception des siens, et notamment de Monga Minga, sa mère, l'en dissuade. Il finit par décrocher un stage dans une asbl. Ce qui lui permet d'attendre des jours meilleurs.

Ce roman est intéressant à plus d'un titre. D'abord du point de vue des mœurs, avec cette homosexualité[1] affichée et assumée du héros-narrateur, dont le "je" nous plonge au sein même de sa conscience, posture d'où le lecteur peut suivre les moindres nuances de sa pensée toujours en marche. Tuyautée par une amie installée à Genève, sa mère apprend la nouvelle, et c'est l'ahurissement : "Il se pourrait qu'on a entendu dire qu'on t'a vu embrasser amoureusement dans les rues de Genève des garçons. Tu fais même ça en route, devant tout le monde ? (…) Tu me mets le grand-frère de la honte sur le corps !" (pp. 140-141). Nous reviendrons sur cette dernière expression, qui renvoie aux particularismes de la langue, souvent "tropicalisée"[2], de notre auteur.

Kosambela Matatizo, la sœur de Mwana qui réside également en Suisse est, elle aussi, inconsolable. Le jour où elle a appris l'homosexualité de son frère, elle s'est carrément évanouie… Il faut dire que c'était une catholique plus que fervente. Sans parler de la coutume africaine peu encline à tolérer ce type de sexualité.

Et pourtant, la mère de Mwana finit par accepter cette situation avec philosophie. Elle nouera même des liens avec Ruedi, ce qui dénote chez elle une remarquable ouverture d'esprit. Il faut dire que l'affection qu'elle portait à son fils était plus que vitale pour les deux. Ce que révèle d'ailleurs la structure en chiasme de l'intrigue : au fur et à mesure que la mère dépérit d'un cancer, la situation sociale de Mwana semble aller de mal en pis, jusqu'à ce point culminant où la mère décède, pendant que le fils signe enfin un contrat professionnel intéressant et à durée indéterminée. Comme pour affirmer qu'il fallait la disparition de la mère pour que le fils advienne à la pleine maturité et à l'autonomie[3].

Autre thème, celui du racisme et de la xénophobie auxquels Mwana est confronté de par la nature de ses prestations dans l'asbl de madame Bauer, qui milite contre toutes sortes de discriminations. Mais sur ce plan, c'est son jeune compagnon Ruedi qui voit le plus juste et le plus loin : "Voilà des mois qu'on vit ce calvaire et personne pour nous tendre la main. Dans ton chômage-là, ils t'envoient balader. Les idiots ! Et puis, pourquoi devrais-tu même aller au chômage ? Hein ! Tu as fait de belles études. Tu n'es pas idiot toi, hein ? (…) Mais ils te refusent tous un emploi (…) Tu es là à faire comme si tu ne vois pas ce qui se passe" (pp. 155-156).

Pour terminer, revenons à la langue savoureuse et pleine de vitalité de Max Lobe. Usant d'africanismes avec bonheur et humour, il ramène de cette manière une foule de tournures camerounaises dans un français par ailleurs châtié, ouvrant à une métaphorisation multiple, aux effets pleins de fraîcheur. Telle cette récrimination de sa mère devant les photos de son fils amaigri : " – Ah Nzambé[4] ! s'était-elle exclamée. C'est quoi comme ça là ? On dirait un moustique du désert. Il meurt de faim là-bas ou quoi ?

- Tu sais, avait répondu ma sœur, la vie chez les Blancs, c'est caillou.

- Je suis sûre que c'est la dame du chômage-là qui le suce comme ça. Elle veut me finir l'enfant ou quoi ?" (p. 15).

Max Lobe est un écrivain camerounais, né à Douala en 1986. Il vit actuellement en Suisse et travaille à Genève dans un projet de Développement durable. Il est lauréat du Prix de la Sorge 2009 et son roman, 39, rue de Berne[5], a reçu le prix du roman des Romands en 2014.






[1] On sait à quel point cette thématique est délicate à aborder dans le contexte culturel des traditions africaines.




[2] Il s'agit, entre autres, de l'usage des africanismes dans les fictions africaines, pratique routinisée par des écrivains tels Ahmadou Kourouma, dans Les Soleils des indépendances.




[3] Le récit trempe régulièrement, pour ainsi dire, dans les larmes de la mère et surtout, du fils (il pleure souvent sur son chômage et sur la maladie de sa mère. Ce qui est une autre manière de suggérer son côté "petit enfant").




[4] Dieu, dans la langue du pays M'fang et en lingala.




[5] 39, rue de Berne, Genève, Editions Zoé, 2013.