Chronique - Revenir, désire-t-il ?

Chronique littéraire d'Abdourahman Waberi - source CEC -

J’ai le privilège de connaître Jean-Luc Raharimanana depuis plus d’un quart de siècle. Très vite nous sommes devenus amis. Nous sommes aussi frères de plume et d’âme. Je dirai que nous sommes presque jumeaux si je ne tenais pas tant à mon petit avantage que me donne le droit d’aîné. Entre nous, je l’appelle par un surnom que je ne dévoilerais pas aujourd’hui. Il doit être tenu secret, il a une touche initiatique.

J’ai lu la plupart de ses livres. Et j’ai écrit sur certains d’entre eux. J’ai été souvent intrigué, bousculé même par l’écriture exigeante de mon compère malgache mais jamais je n’ai été déçu par l’un de ses ouvrages.

En malagasy, sa langue maternelle si chérie, son nom Raharimanana signifie « celui qui a le don de créer ». Il faut dire que le petit-fils est parvenu se faire créateur et à habiter ce nom que son grand-père avait donné à son fils et dont l’auteur a fait son nom de plume. Au fil des livres, Raharimanana a pris la décision d’exclure son prénom, Jean-Luc, pour, inciter les lecteurs à le rejoindre dans son territoire mystérieux, un territoire poétique et mouvant par nature.

Pour l’état-civil, Raharimanana est né à Antananarivo en 1967. Il a grandi à Mahajanga, la grande cité du Nord-Ouest. Il vit en France depuis 1989, car il avait à vingt-deux ans, éprouvé les brimades et la censure. Et il est parti en exil pour un temps, pour une éternité.  Je l’ai connu poète et nouvelliste (Lucarne, Rêves sous le linceul), puis romancier (Nour, 1947 et Za). Il a élargi son champ d’investigation, s’est aussi fait conteur, acteur et dramaturge. Il passe d’un champ à l’autre avec constance et bonheur. Il y a quelques mois Raharimanana était de retour d’abord en librairie, avec Revenir, son nouveau roman, et également sur scène avec Parfois le vide, spectacle créée à Avignon en 2016 et produit en collaboration avec les théâtres du Tarmac et d'Ivry. Un narrateur en apnée y retrace l'aventure des migrants, ces « gobeurs d'étoiles » en quête d’eux-mêmes. On passe des larmes aux rires et vice-versa.

Revenir est, sans nul doute, le roman le plus autobiographique de Raharimanana. Il met en scène le récit de l’enfance du père et de celle d’Hira, le fils, qui doit beaucoup à l’enfance de l’auteur. Me remontent à la surface les souvenirs d’une enfance heureuse sans que soit relégué au second plan la misère alentour. La grande histoire promène sa hache ensanglantée sur la tête des aïeuls et le grand-père très tôt disparu n’est jamais loin par la magie de la prose poétique qui penche du côté du hainteny, ce genre qui hante littéralement l’écriture de Raharimanana. Qu’est-ce le hainteny ? Et l’auteur de lever un coin du voile dans un entretien donné à l’hebdomadaire Le Point: « c’est une façon poétique de dire les choses sans aborder le sujet et qui exige des subtilités, des métaphores, des fioritures et des proverbes en passant par des énigmes. On arrive au sujet proprement dit dans la dernière phrase ! ».

Justement les premières phrases de ce nouveau roman projettent le lecteur dans une matière océanique, en mouvement et en fusion, qui le harponne pour ne plus le lâcher : « Belle eau claire sur une mer haute prenant le soleil, se noyer faillir, le vent sur les vagues pour les tremblements des départs, sublime paysage de minerai et d’océan, Hira pose ses pas dans l’eau, l’un après l’autre, lentement, franchit des fines roches, presque lames ». Ce Hira qui marche sur l’eau tel Jésus est aussi notre Pénélope. Il est le chant. Important est le chant car chez Raharimanana tout commence par le chant. Créateur est le chant car Raharimanana signifie, vous le savez désormais, celui qui a le don de créer. Voilà la première boucle du récit peut commencer pour monter crescendo tout en boucles, ricochets, volutes et ellipses. Et le récit va continuer allegro en suivant un mouvement narratif qui part de l'enfance du héros pour aboutir à celle douloureuse du père. Cette dernière est caressée avec pudeur et douceur car il y a tellement de douleur nichée dans le récit du père que Hira ne peut aborder ce rivage sans prendre quelques filets : «...Son père venait à peine de sortir d’un coma, et lui, son fils, il avait mis ses pas dans une eau qu’il ne connaissait pas. Un vertige l’avait saisi, là au milieu de l’arène, comme si le monde tournait, comme si l’arène devenait immense, comme s’il était insignifiant, ce vertige qui vous attrapait et vous incitait à en finir, comme s’il n’y avait plus d’horizon qui tienne, comme si plus rien n’avait d’importance, comme s’il fallait juste tomber et accepter de ne plus sentir ses jambes. Il avait pensé alors à Elle. Comme chaque fois qu’il risquait de tomber. Elle était le socle qui le maintenait debout. L’écriture n’avait jamais cessé de le dévorer, d’autant plus qu’il s’était constitué proie consentante. C’était toujours à Elle de le reconstruire. Elle qui n’avait jamais pris le temps de s’occuper d’Elle-même. »

Le roman n’entretisse pas l’enfance du père et celle du fils. Il entrecroise mille mondes. Il entremêle les cieux et les terres. Et tel un funambule, Hira danse sur le fil de son récit minéral et aquatique grâce à Elle. De grâce, ne cherchez pas à emprisonner Elle dans les rets de votre entendement. Elle est Elle, c’est tout.  Elle, c'est le personnage ou la personne qui fait que Hira continue à écrire. À revenir, toujours, à l'écriture.

Revenir, Jean-Luc Raharimanana, Editions Rivages, 300 pages, 22 euros.

Parfois le vide. Texte, voix, mise en scène Raharimanana. Musiques : Tao Ravao (cordes), Jean-Christophe Feldhandler (percussions). Voix, chant, flûte traversière : Géraldine Keller. Regard extérieur : Nina Villanova. Sons : Claude Valentin. Lumière : Vincent Guibal