Extrait

Chapitre VII, pages 86-87

“Derrière sa table, le père de Samba Diallo était demeuré immobile comme indifférent au drame cosmique qui se perpétrait dehors. Son boubou blanc était devenu violet. Les larges draperies qui en tombaient contribuaient, par leur immobilité, à lui donner une stature de pierre. “Jean a raison, pensa Lacroix,  il a l’air d’un chevalier du Moyen Age.”
Il s’adressa à l’homme.
-Ce crépuscule ne vous trouble-t-il pas? Moi, il me bouleverse. En ce moment, il me semble plus proche de la fin du monde que de la nuit...
Le chevalier sourit.
-Rassurez-vous, je vous prédit une nuit paisible.
-Vous ne croyez pas à la fin du monde, vous?
-Au contraire, je l’espère même, fermement.
-C’est bien ce que je pensais. Ici, tous croient à la fin du monde, du paysan le plus fruste aux hommes les plus cultivés. Pourquoi? Je me le demandais, et aujourd’hui seulement j’ai commencé de comprendre en regardant le crépuscule.
Le chevalier considéra Paul.
-A mon tour de vous demander: vous ne croyez pas vraiment à la fin du monde?
-Non, évidemment. Le monde n’aura pas de fin. Du moins pas la fin qu’on attend ici. Qu’une catastrophe détruise notre planète, je ne dis pas...
-Notre paysan le plus fruste ne croit pas à cette fin-là, épisodique et accidentelle. Son univers n’admet pas l’accident. Il est plus rassurant que le vôtre, malgré les apparences.
-Peut-être bien. Malheureusement pour nous, c’est mon univers qui est vrai. La terre n’est pas plate. Elle n’a pas de versants qui donnent sur l’abîme. Le soleil n’est pas un lampadaire fixé sur un dais de porcelaine bleue. L’univers que la science a révélé à l’Occident est moins immédiatement humain, mais avouez qu’il est plus solide...
-Votre science vous a révélé un monde rond et parfait, au mouvement infini. Elle l’a reconquis sur le chaos. Mais je crois que, ainsi, elle vous a ouvert au désespoir.
-Non pas, elle nous a libérés de craintes... puériles et absurdes.
-Absurdes? L’absurde, c’est le monde qui ne finit pas. Quand saurait-on la vérité? Pour nous, nous croyons encore à l’avènement de la vérité. Nous l’espérons.”