{ Ken Bugul }

Extrait

Extrait de La Folie et la Mort de Ken Bugul, Paris, Présence Africaine, 2000, p.108, 109

“Tout d’un coup quelqu’un cria:

-Au voleur! Au voleur!

Les gens accourraient de tous les côtés.

-Au voleur ! Au voleur !

C’était elle, Fatou Ngouye, qu’on désignait.
Les uns prenaient des bâtons, des gourdins, des lanières de pneu, les autres des pierres, des cailloux, des couteaux.

-Au voleur ! Au voleur !

En quelques secondes elle était entourée par des gens hurlant dans des langues différentes, ce qu’on pouvait aisément deviner comme des insanités et des obscénités.

-Regardez-moi cette jeune femme avec sa grossesse si avancée !
-S’il vous plaît ayez pitié d’elle.

Elle n’avait même pas terminé sa phrase que quelqu’un s’avança vers Fatou Ngouye en se frayant un passage vigoureux à travers la foule déjà dense. Il tenait à la main un bidon et de l’autre une boîte d’allumettes. En une fraction de seconde il aspergea Fatou Ngouye du contenu du bidon, contenu qui par son odeur était de l’essence. Aussitôt la personne excitée frotta une allumette avec des mains tremblantes et d’une voix terrible, cria:

-Meurs ! Voleuse !

La personne jeta l’allumette incandescente sur Fatou Ngouye qui en quelques secondes devint un brasier.

Son ventre lui aussi en quelques secondes avait pris des proportions énormes. C’était comme si la peau se tendait jusqu’à l’éclatement.

Sa radio posée devant l’étalage du marchand où elle s’était arrêtée et qui avait crié au voleur, était en marche:

“Dans un pays non loin d’ici, le peuple a organisé des marches dans toutes les rues de toutes les villes pour demander le départ de leur timonier. Il ne veut plus de lui. Mais ce timonier n’écoute pas le peuple et continue à vociférer à la radio et à la télévision qu’il est le seul qui peut défendre son peuple contre l’impérialisme et le terrorisme. Dans un autre pays du Continent, les gens du Nord commencent à se battre contre les gens du Sud. Cela va durer longtemps, comme cela se passe, non loin de là.

Toutes ces informations seront développées plus tard.
A tout à l’heure.
N’oubliez pas le décret.
Longue vie à notre Timonier.”

Fatou Ngouye brûlait  comme si elle était du bois sec.”