Extrait

Chapitre 1, pages 17-18

“Lorsqu’elle exposa à Michael les grandes lignes de son projet, elle ne parla pas de mourir, ne fit aucune allusion à la mort. Elle lui suggéra de quitter les Parcs et Jardins avant d’être licencié et de l’accompagner en train jusqu’à Prince Albert, où elle louerait  une chambre pendant qu’il chercherait du travail dans une ferme.

(...)

Elle s’attendait à ce que Michael lui demandât comment elle pouvait imaginer qu’une petite ville de province allait accueillir en son sein deux étrangers, dont une vieille femme en mauvaise santé. Elle avait même une réponse toute prête. Mais Michael n’émit pas le moindre doute sur ses paroles. De même qu’il avait pensé, pendant toutes les années passées à Huis Norenius, que sa mère l’avait laissé là pour une raison certes obscure, mais qui finirait par s’éclaircir, de même reconnaissait-il maintenant sans soulever d’objection la sagesse des plans qu’elle avait formé pour eux. Ce qu’il voyait, ce n’était pas les billets de banque étalés sur le lit, c’était, avec les yeux de l’esprit, une maisonnette blanchie à la chaux dans l’immensité du veld, des volutes de fumée sortant de la cheminée et, debout sur le pas de la porte, sa mère, souriante, en bonne santé, prête à l’accueillir à la fin d’une longue journée.

Le lendemain matin, Michael n’alla pas travailler. Il répartit l’argent de sa mère en deux rouleaux qu’il glissa dans ses chaussettes, se rendit à la gare et s’adressa au bureau des Départs (Grandes Lignes). L’employé lui dit qu’il lui aurait vendu avec plaisir deux billets pour Prince Albert ou pour la gare la plus proche (“Prince Albert ou Prince Alfred ?” demanda-t-il); mais K. ne devait pas espérer prendre un train s’il n’était muni de réservations et d’un permis de quitter la péninsule du Cap, zone désormais contrôlée par la police. Il ne pouvait lui donner de réservations pour une date antérieure au dix-huit août, c’est-à-dire dans deux mois; quant au permis, on ne pouvait l’obtenir qu’auprès de la police. K. le supplia de lui donner la possibilité de partir plus tôt, mais en vain. L’état de santé de sa mère ne constituait en rien un argument favorable, lui dit l’employé; bien au contraire, il lui conseillait de ne pas mentionner sa maladie.”