Extrait

Chapitre 3, pages 33-35

"Yacouba a été précipité vers l'Afrique -nom magique, sésame, ouvre-toi !- par les milices qui dépècent son pays aux dimensions de timbre-poste. Ce costume de clown qui a pour nom la Suisse est soumis à la guerre ethnique et linguistique depuis des siècles et des siècles. Les Belges ne sont pas mieux logés, mais passons. Les haines, les rancoeurs et les dialectes s'entrechoquent dans une cacophonie contagieuse, sans compter que les deux tiers du territoire -blanc neige- sont désertiques et inhabitables. Le Nord, peuplé par les habitants de langue allemande ou alémanique et de confession luthérienne, est un peu plus riche que le Sud, occupé par les paysans de langue française, italienne et romanche, tous catholiques. Partout c'est le règne des hordes dévastant l'Helvétie sous divers uniformes. La minuscule élite a décampé la première, et tous les jeunes ne rêvent que de départ et d'exil. Pas étonnant qu'on se zigouille allègrement tous les trois ans pour un mot équivoque, un accent déplacé ou un alpage occupé. Valaisans, Savoyards, Jurassiens, Tessinois, Genevois, Lucernois et autres Schwytzois n'ont jamais réussi à trouver un terrain d'entente. Les uns ont les yeux et les tripes tournés vers l'Allemagne, tandis que le coeur des autres bat à l'heure de Paris ou de Milan. Tous les observateurs venus du monde entier l'ont constaté à leurs dépens en essayant de relancer les appels au calme et à la discipline. La moindre question posée par un observateur étranger, le plus souvent états-unien, soulève une kyrielle de réponses désaccordées, déterre des rancunes enfouies, dénude des stratégies opposées."