Chronique

Une chronique de Bernard Magnier - source CEC -

En moins de dix ans, le Béninois Florent Couao-Zotti s’est imposé dans le paysage littéraire africain et a su faire entendre son talent. Attentif aux coins d’ombre et aux interstices de la nuit, le nouvelliste et romancier tisse, pour l’essentiel, la trame de ses intrigues dans l’univers douloureux et chaotique de Cotonou, cette métropole, capitale du Bénin, qu’il nomme volontiers sa "putain adorée".

 

Né à Pobé en 1964, Florent Couao-Zotti a poursuivi des études littéraires qui l’ont conduit vers l’enseignement puis le journalisme (il a été rédacteur en chef du bimensuel satirique, Le Canard du golfe) avant de se consacrer pleinement à l’écriture. Son oeuvre, amorcée par une pièce de théâtre ("Ce soleil où j'ai toujours soif") en 1995 puis par un récit pour enfants ("Un enfant dans la guerre" qu’il remaniera plus tard et qui deviendra "Charly en guerre"), trouvera une première reconnaissance avec "Notre pain de chaque nuit", un premier roman publié en 1998, dans lequel il contait les liaisons tumultueuses d’une prostituée avec son ancien amant boxeur et un politicien véreux. En 2000 avec "L’Homme dit fou et la mauvaise foi des hommes", le romancier béninois propose un recueil de nouvelles qui emprunte son titre à l’une d’entre elles et plonge à nouveau dans les zones interlopes de la capitale béninoise. Sourde ou visible, la violence domine ce recueil et semble présente à chaque page, atteignant son paroxysme lorsqu’un jeune enfant vole un pendentif, l’avale pour le dissimuler et ne parvient plus à l’évacuer... Lorsque Cesaria met au monde un enfant dont elle veut se débarrasser et que son oncle survient et lui apprend qu’il n’est autre que le « violeur masqué » et donc le père de cet enfant... Lorsqu’un homme à la morgue viole le corps de sa femme qu’il a tuée involontairement en voulant assassiner son beau-frère. Au delà de cette démesure, les personnages de Florent Couao-Zotti jouent et se jouent volontiers du surnaturel. Ainsi le héros de cette nouvelle qui, après avoir tué sa femme, enlevé sa fille et provoqué le président directeur général de la banque, se montre invulnérable aux balles de la police (clin d’oeil évident au personnage de Martial dans "La vie et demie", roman du Congolais Sony Labou Tansi).

A l’image du monde qu’il décrit, Florent Couao-Zotti choisit une langue inventive et mâtinée de truculence, enrichie de formules savoureuses et d’un vocabulaire emprunté au glossaire de la rue. Ainsi en va-t-il des prostituées tour à tour qualifiées de «vendeuses de vie», de «coffres à péché », d’«ouvreuses de fantasmes» ou de «banques poilues »... Prostitution, drogue, meurtre, zoophilie et dérives en tout genre, Florent Couao-Zotti traque toutes les fièvres, toutes les douleurs, tous les spasmes, tous les élans et toutes les démesures, dans leurs manifestations les plus abruptes et les plus sauvages. De désamours en mal-être, ses personnages sont des humains en nostalgie d’enfance ou des enfants versés trop tôt dans une destinée adulte, comme cet « enfant-caniveau oublié dans les décharges du monde ». Ainsi, qu’ils sombrent dans la folie, débusquant la vérité au creux de leur délire et offrant de la société un miroir dérangeant, ou qu’ils défient les lois de la nature humaine, les héros de l’écrivain béninois offrent la fragilité de leur excès et se réfugient dans la démesure parce qu’ils n’ont pas trouvé dans le quotidien la place qu’ils entendaient occuper.