Chronique

Une chronique de Bernard Magnier - Source CEC -

Après un premier roman, "Ville cruelle", publié sous un premier pseudonyme, Eza Boto, puis la publication de "Le pauvre Christ de Bomba", sous le nom de Mongo Béti, en 1956, et celle de "Le Roi miraculé" en 1958, l’écrivain camerounais était demeuré silencieux sur le plan des publications romanesques avant de revenir en 1974 avec un titre aux implications politiques immédiates, "Remember Ruben". Un titre qui se voulait une mise en pratique romanesque de "Main basse sur le Cameroun", un essai tonitruant qui avait été frappé par la censure et interdit.

"Remember Ruben"... le titre de ce roman est explicite et invite d’entrée à se souvenir de Ruben qui n’est autre que Ruben Um Nyobé, le leader syndicaliste, fondateur de l’Union des Populations du Cameroun (U.P.C.) et héros des luttes pour l’indépendance, assassiné en décembre 1958. Si le livre emprunte son titre à ce personnage historique, et lui confère une évidente dimension politique, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’un véritable roman nanti de tous les ingrédients du genre.

Mor Zamba, personnage principal du livre, est au début du roman un jeune garçon errant qui arrive dans un village dont il va bouleverser la quiétude. Il sera, plus tard, emprisonné par les forces coloniales en 1940, et y deviendra infirmier. Libéré en 1944, il va s'initier aux luttes syndicales et politiques et, à l’occasion d’une violente répression ayant occasionné la mort de plusieurs militants, Mor Zamba décide de se rendre à la capitale, Fort-Nègre, où il découvre les conditions de vie dans le quartier « indigène ».

Devenu chauffeur de camion, Mor Zamba entre dans la guérilla. Il participe à la libération de Ruben, le leader révolutionnaire emprisonné. Il retrouve plus tard son compagnon d’enfance, Abéna, devenu lui aussi un militant révolutionnaire après avoir vécu les guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie. Abena, ayant pris la tête du mouvement à la mort de Ruben, il confie à Mor Zamba le développement de la guérilla dans leur région natale.

Situé avec précision dans l’histoire et la géographie du Cameroun des vingt-cinq années qui ont précédé l’indépendance (si certains noms ont été conservés, en particulier celui de Ruben, d’autres, en revanche ont été modifiés, ainsi Douala est ainsi devenu Fort-Nègre), ce roman se veut une chronique du mouvement révolutionnaire et une dénonciation de l’oppression coloniale. Les deux personnages centraux, amis d’enfance, offrent par la convergence de leurs destinées un exemple clairement mis en avant et que l’auteur invite implicitement à suivre.

En 1974, avec "Perpétue ou l’habitude du malheur", Mongo Béti (1932-2001) a poursuivi dans cette même veine du roman militant directement ancré dans la réalité socio-politique camerounaise du moment. Cette démarche sera encore plus évidente, en 1979, avec "La ruine presque cocasse d'un polichinelle", un roman dont le sous-titre sera "Remember Ruben 2", puis avec son essai, en 1986, "Lettre ouverte aux Camerounais ou la deuxième mort de Ruben Um Nyobé". Quatre titres qui sont au cœur d’une œuvre éminemment politique qui n’a cessé d’alterner essais et romans tout en leur conférant une même orientation militante, ponctuée, à la fin de la vie de l’auteur, par la création de la "Librairie des Peuples Noirs" à Yaoundé, une autre mise en pratique du combat pour la libre circulation des idées…