Chronique

Une chronique de Bernard Magnier - Source CEC -

Depuis plus de vingt ans, ancré dans son île de La Réunion où il est né à Saint-Denis en 1944 et où il enseigne les sciences naturelles, Axel Gauvin a su mettre en pratique son travail de militant pour la reconnaissance de la culture réunionnaise et l'usage littéraire de la langue créole, en élaborant une oeuvre, écrite en français et en créole, le plaçant en première ligne parmi les écrivains les plus en vue de cette île de l'Océan Indien. L'Aimé, son troisième roman, écrit en français et publié en 1990, est, sans conteste, le livre qui lui a valu le meilleur accueil et le plus de lecteurs.

Par un soir de cyclone, un taxi dépose subrepticement un enfant au domicile de Marguerite Bellon. Le jeune garçon est son petit-fils, un orphelin chétif, malade, bouleversé dans son corps comme dans son esprit et dont le sommeil est peuplé de cauchemars. Grâce à sa grand-mère et à son compagnon Gaétan, P'tit Mé va apprendre à marcher, à s'exprimer, à vivre tout simplement. Marguerite va déborder de tendresse grand-maternelle et il sera pour elle "son P'tit Mé, son soleil de cinq heures, son rayon vert illuminant le couchant de sa vie". Gaétan, vieil homme bourru et taiseux, va s'improviser instituteur et entreprendre une éducation très personnelle du garçon. Tous deux vont rivaliser d'affection pour rendre l'enfant à la vie et l'un et l'autre sauront quitter la vie avec discrétion après avoir confié l'enfant aux voisins et en lui évitant une nouvelle blessure.

Axel Gauvin réussit là une superbe histoire d'amour entre un petit-fils et sa grand-mère. Pas de grands mots mais une "tendresse utile", un livre sur l'enfance qui sait éconduire les méandres du mélodrame et les pièges de la niaiserie sentimentale. Un livre qui s'inscrit dans l’œuvre du romancier réunionnais entre l'évocation de la vie laborieuse des pêcheurs de la petite ville de Saint-Leu (Quartier trois lettres, son premier roman paru en 1980 et dont il publiera ensuite une version créole), l'observation de la diversité culturelle réunionnaise à travers les us et coutumes des enfants dans une cantine scolaire (Faim d'enfance) en 1987, la belle amitié entre un infirmier et son ami aux intentions suicidaires (Cravate et Fils) en 1996 et, enfin, en 2000, la dérive, nocturne et imbibée, d'une bande d'énergumènes en goguette chez un boutiquier chinois (Train fou).

Les personnages d'Axel Gauvin ont cela en commun qu'ils portent tous une blessure, une cicatrice ancienne, plus ou moins mal refermée. Ils ont en partage un mal-être qu'ils s'efforcent de dissimuler, en empruntant le masque du rire, en recourant aux paradis artificiels de divers alcools, ou, pire, en choisissant la fuite et la mort. A moins qu'ils ne trouvent un havre salvateur dans l'amour et l'amitié. Il semble évident que ces personnages bénéficient d'une totale complicité et d'une vraie cordialité  de la part de leur créateur dont l'humanité sensible transparaît dans chacun de ses romans. Une langue généreuse et originale, fruit d'une subtile alchimie et de nombreux allers-retours entre le français et le créole, vient, à propos, offrir une authenticité chaleureuse, loin de tout exotisme de façade, de tous stéréotypes et images convenues.

Dès 1977, Axel Gauvin avait publié un essai qui définissait sa trajectoire politique et linguistique, Du créole opprimé au créole libéré. Aujourd'hui, il poursuit son engagement et continue d'alimenter une oeuvre littéraire écrite directement en créole (essentiellement dans les domaines de la poésie et du théâtre), tout en ayant réussi à imposer son nom dans le paysage romanesque francophone dont il est incontestablement l'auteur réunionnais le plus en vue.