Chronique

Chronique de Bernard Magnier - Source CEC -

Résumé: Lazare vient de mourir, son corps est exposé et il voit défiler devant lui, anciens amis, ennemis, voisins et parents, tous les habitants du village de Fond-Pipiri qui, sincères ou hypocrites, viennent ainsi rendre un dernier hommage au défunt et entamer avec lui une petite causerie... Un roman aux accents latino-américains qu’affectionnait tant le romancier martiniquais Xavier Orville.

La voie des cerfs-volants, septième roman de Xavier Orville, pourrait n’être que le simple récit d’une banale veillée mortuaire si le mort n’avait décidé de « ne pas mourir cette mort » et de s’évertuer de prolonger son existence d’outre-vie... Dès lors, bien sûr, la magie se doit d’opérer. Lazare (le bien nommé !) va, depuis son cercueil, entendre les louanges et les regrets sincères mais aussi les propos hypocrites, les médisances et les critiques posthumes. Les amis fidèles et ceux qui le trahissent, les parents, les anciennes amours qui « lui dépêchent une incontinence de rêves érotiques », tous se succèdent et entreprennent de bien étranges dialogues. A chacune de ses rencontres est associé un instant – ou de longues années – de la vie de celui que l’on n’ose plus appeler le défunt. Il répondra à chacun, ponctuera chaque intervention d’un commentaire, d’une rodomontade, d’un regret ou d’un remords, d’un souvenir ou d’une anecdote, pittoresques et croustillantes. Les confidences et les aveux vont ainsi nourrir ces rencontres qui viennent comme autant de pieds de nez adressés à la mort, ainsi refusée, congédiée et conjurée.

Au-delà des anecdotes, souvent rocambolesques, c’est aussi à une réflexion sur la mort que se livre le romancier martiniquais (« la mort ce n’est rien, c’est l’idée qu’on s’en fait »), qui ne refuse pas davantage à son « héros » une rencontre divine, comme pour mieux se convaincre que « tout défunt est maître de sa mort, que c’est lui seul que cela regarde, que la mort l’isole comme une île, une île inabordable »... Xavier Orville ne cesse d’interpeller ses semblables sur les interrogations essentielles et d’amener ses lecteurs à quelques réflexions, graves et prenantes, sans jamais paraître donner une leçon ni prendre les habits austères et, souvent, prétentieux, du penseur ou du philosophe. Sa démonstration n’en est que plus belle et plus durable !

Publié en 1994, ce roman préfigure les derniers titres du romancier, tous hantés par la mort qui rattrapera l’auteur en 2001. Agrégé d’espagnol, grand lecteur des romanciers latino-américains, Xavier Orville fut conseiller des présidents sénégalais Senghor et Abdou Diouf, il laisse une oeuvre plaisante et pleine d’humour, riche de belles et fantasques aventures distillées au rythme merveilleux et conjugué de la farce et de la fable, une oeuvre plus volontiers ancrée en haute mer caraïbe que dans les terres créoles et insulaires des seules Antilles françaises.

Une oeuvre qu’il avait commencée, en 1979, avec Délice et le fromager puis La Tapisserie du temps présent, deux livres teintés d’un hermétisme poétique, rapidement abandonné pour conter, dans L’homme aux sept noms et des poussières, les frasques picaresques d’un Candide martiniquais « naufragé de l’état civil ». Plus tard, Xavier Orville constituera, roman après roman, une extraordinaire galerie de portraits où se retrouvent, côte à côte, une sulfureuse héroïne, amante de l’auteur et personnage d’un futur roman (Laissez brûler Laventurcia), un trio de personnages grotesques et pathétiques en quête d’une autre destinée (Cœur à vie), une prostituée épleurée et son compagnon qui recueille le précieux liquide lacrymal aux vertus sympathiques afin d’en faire commerce (Le Marchand de larmes), un dictateur ubuesque (Moi, Trésilien-Théodore Augustin)... Tous réunis dans cette oeuvre charnière de l’histoire littéraire de la Caraïbe francophone qui mêle avec bonheur, cocasserie, burlesque et gravité.