Chronique

Chronique de Bernard Magnier - Source CEC -

Célèbre pour son "Chaka", récit historique dans lequel il restituait l’exceptionnelle destinée du “Napoléon zoulou”, Thomas Mofolo est également l’auteur d’un roman, "L’Homme qui marchait vers le soleil levant", pour lequel l’écrivain sud-africain peut, selon toute vraisemblance, être considéré comme le premier écrivain du continent à avoir publié un livre en Afrique dans une langue africaine. Ce livre, véritable quête initiatique écrite en sesotho, est aujourd’hui disponible en français dans la traduction de Victor et Paul Ellenberger.

Publié pour la première fois en feuilleton en 1906 puis sous forme de livre en 1907, "Moeti oa Bochalela" a connu quelques variations sur son titre français au fil du temps. Il fut tout d’abord titré “Voyageur de l’Orient”, “Pèlerin de l’Orient” puis “Vers le soleil levant ou le pèlerinage de Fékisi”, par son traducteur, Victor Ellenberger, descendant d’une famille de missionnaires installée au Lesotho en 1861 ; plus tard, son fils, Paul Ellenberger, qui a revu la traduction suggéra “le découvreur du soleil primordial” avant que l’éditeur actuel ne retienne "L’Homme qui marchait vers le soleil levant". Cette évolution et ces hésitations témoignent de la complexité de ce texte et de l’évolution des lectures qui en ont été faites.

Après une première partie qui s’apparente volontiers à une autobiographie pastorale, le livre se poursuit avec la métamorphose du personnage principal : Fékisi, en rupture avec son peuple dépravé et en proie à l’ivresse et à la violence (“nous parlons de cette période tragique où il n’y avait plus guère d’autorité souveraine, les divers peuples ayant pris l’habitude de s’entre-manger”), va passer de l’état de jeune berger à celui de héros exemplaire aux pouvoirs hors du commun. Contée comme une aventure initiatique et mystique mêlant les enseignements du christianisme à une parfaite communion avec les éléments naturels, sa quête se double d’un voyage tumultueux parsemé d’épreuves dont il devra -à l’instar des héros des contes traditionnels- sortir vainqueur. Défendre le faible, vaincre le lion, tuer la gazelle pour se nourrir et s’abreuver de son sang, communiquer avec les vaches et les oiseaux seront quelques unes des taches accomplies par ce héros singulier dont la naïveté et la sincérité ne laissent pas indifférent le lecteur et dont l’auteur parvient à transmettre les élans et les interrogations. La conversion de Fékisi et l’étonnante issue de sa quête (le dernier chapitre s’intitule “Fékisi arrive chez Dieu” !) par delà les frontières et les doutes, jusqu’au terme de son voyage et jusqu’à ce “lieu où Dieu demeure”, offrent une ponctuation qui peut surprendre mais qu’il convient de resituer dans l’Afrique australe du début du XXè siècle.

Au-delà de son incontestable intérêt historique (puisqu’Alain Ricard affirme dans sa préface que “Moeti oa Bochalela est certainement le premier roman publié en Afrique dans une langue africaine” et “probablement le premier roman écrit et publié en Afrique en quelque langue que ce soit”), la publication de ce livre est d’importance. Elle permet de donner une autre dimension au talent de Thomas Mofolo ("Chaka", publié en 1926 en sesotho puis en 1940 en français, lui ayant assuré une reconnaissance universelle), mais elle offre aussi un vrai plaisir littéraire, car "L’Homme qui marchait vers le soleil levant" recèle, ça et là, de beaux passages poétiques. La présentation élégante du volume et l’appareil critique qui l’accompagne en font un bel objet, à la fois érudit et accessible. Un livre qui vient, très opportunément, enrichir la liste, jusqu’alors fort courte, des ouvrages africains traduits à partir d’une langue africaine.