Chronique

Chronique littéraire de Bernard Magnier - Source CEC -

Résumé: Au cœur de l’œuvre d’Henri Lopes, "Le Chercheur d'Afriques" est, en apparence du moins, l’œuvre la plus personnelle du romancier congolais, qui s'est largement inspiré de son propre itinéraire pour écrire cette quête identitaire conduisant un jeune homme métis, des berges du Congo jusque dans la ville de Nantes. Un jeune “héros” en quête de son père qui avait abandonné, en terre africaine, sa femme et son enfant aujourd'hui devenu adulte... Un double en quête de lui-même et de son hérédité.

Dans une salle de cinéma nantaise, André, un jeune étudiant, écoute la conférence du Docteur Leclerc. C’est un jeune métis né d'un père français, ancien commandant de cercle et d'une mère congolaise qui, après le départ du père d'André, s'est remariée avec Joseph Veloso, un métis que l'enfant a accepté pour père. Poursuivant ses études en Europe, André cherche à retrouver son véritable père, disparu peu après sa naissance et dont il n'a aucune nouvelle si ce n'est qu'il est devenu médecin...

En France, André retrouve le fantasque sportif, Vouragan, son ami, son "frère". Il rencontre également Kani la Guinéenne mais aussi Fleur, la femme aux yeux verts (comme André) qui se révélera être sa demi-soeur. Ayant retrouvé la trace de son père et après avoir assisté à sa conférence, André va consulter le Docteur Leclerc sous un nom d'emprunt et les yeux masqués par des lunettes. Au moment de prendre congé, André tombe le masque et salue le médecin et son épouse venue le raccompagner par un "au revoir papa, au revoir maman"... La nuit suivante le docteur Leclerc succombe à une crise cardiaque.

Abandonnant la trame de ses premiers livres d’un esprit plus immédiatement militant ("Tribaliques" ou "La Nouvelle Romance"), Henri Lopes avait souhaité une écriture éclatée plus ambitieuse pour dénoncer les déviations du pouvoir dans "Le Pleurer- rire". Avec "Le Chercheur d'Afriques", le romancier congolais poursuit cette forme d'écriture et il enchevêtre les séquences "françaises" et "africaines" dans une narration qui paraît suivre les aléas et les fragilités de la mémoire.

Bien que l'auteur se défende d'une inspiration autobiographique, bien des aspects permettent néanmoins de rapprocher le personnage principal du romancier qui ne refuse pas la confrontation puisqu'il recourt à un "je" clairement affirmé dès les premières lignes du texte. Le métissage est au centre des préoccupations de ce livre pour lequel le romancier, lui-même métis, a pris soin de mettre un "s" au mot "Afriques" pour dire la pluralité d'un continent et la diversité d'une quête. Avec gravité mais non sans humour, Henri Lopes conte les mésaventures d'un métis, sans cesse affublé des sobriquets les plus divers ("Mouroupéen", "Blanc-manioc" ou "mal blanchi" au Congo, il devient "Sidi cacahuète" ou "bicot" en France) qui déplore : "Là-bas on montrait le moundélé du doigt, ici on ricane du moricaud".
Au-delà de la recherche du père, ce roman est aussi l'occasion d'une évocation tendre et nostalgique d'une époque que le romancier s'efforce de restituer dans sa quotidienneté. On roule en Vespa, on danse le mambo, Brassens chante "Gare au gorille", on joue "When the saints" dans les boites de jazz... Henri Lopes sait retrouver les mots pour rendre le lyrisme et la nostalgie d'une époque, les plaisirs des premières amours étudiantes, l'insouciance de la musique et de la danse, mais aussi le climat politique (le roman se situe pendant la guerre d'Algérie) et la gravité des engagements du moment.

Ainsi, avec "Le Chercheur d'Afriques", Henri Lopes qui, contrairement à la règle commune, n'avait pas sacrifié à l'autobiographie pour ses premières publications, offre un livre très personnel, sans nul doute nécessaire et longuement mûri; un livre-charnière dans une oeuvre que les importantes charges professionnelles de l'auteur (successivement ministre de plusieurs gouvernements puis premier ministre de son pays, avant d'être nommé sous-directeur pour la culture à l'Unesco et, aujourd’hui, ambassadeur de son pays en France) n'ont pas toujours permis de développer à sa guise. Une oeuvre au sein de laquelle se retrouvent, par des chemins plus ou moins détournés, les thèmes du retour au pays sur les traces de l’enfance ("Dossier classé") et, plus encore, celui du métissage décliné sur le mode romanesque ("Le Lys et le flamboyant") ou de l’essai ("Ma grand-mère bantoue et mes ancêtres les Gaulois").