Chronique

Chronique littéraire de Jean-Claude Kangomba - Source CEC -

Résumé:
Mutombo vient d'achever un cycle d'études supérieures dans sa ville natale de Lubumbashi lorsque le destin change brusquement le cours de sa vie par le biais d'une prophétie confirmée par une devineresse de Kipushi : il est promis à un long voyage. Les parents se voient obligés de vendre leur maison pour lui permettre ce départ inespéré vers la Belgique, pays de cocagne pour tous les jeunes congolais en mal d'avenir, sous la dictature féroce du maréchal Mobutu. Mais après avoir débarqué en Europe avec son cousin, surnommé le "Maître", tout n'est que grisaille, mensonge, dépravation et souffrance. La désillusion est donc immense et proportionnelle à la fascination qu'un tel voyage a pu exercer sur eux.


"La Dette coloniale" est l'histoire d'un jeune étudiant habitant la ville de Lubumbashi au Zaïre (RDC aujourd'hui). Alors qu'il se pose des questions sur son avenir à l'issue de son premier cycle universitaire, il est loin d'imaginer ce que concocte sa mère : le faire voyager vers l'Europe ! Les parents n'hésitent pas à vendre la maison familiale pour couvrir les frais de ce voyage. Voilà donc notre jeune Mutombo à Kinshasa, chez son oncle maternel, qui est chargé des formalités requises.
C'est également l'occasion pour Mutombo de découvrir la capitale congolaise, avec ses buildings, sa tonitruante ambiance des rues et sa gouaille. Emmené en visite par son cousin surnommé Maître, Mutombo rencontre pour la première fois les "mikilistes", c'est-à-dire les Africains résidant dans les pays occidentaux. Les deux jeunes gens sont ahuris par l'aisance, le luxe et l'élégance qu'affichent ces nouveaux riches. Ce qui ne peut qu'exacerber leur fascination pour l'Europe.
Au bout de quelques jours, passeports et visas (obtenus dans de conditions qui, au passage, égratignent la probité des employés de l'Ambassade belge) sont prêts car Maître a la stupéfaction de se voir offrir le même voyage par ses parents.
Passé la première surprise face à la modernité étincelante et aux premières impressions de l'Europe, la désillusion se met en marche dès le premier jour. Les deux cousins sont reçus par Henry, un frère à une connaissance de Kinshasa. Ce dernier prétendait exercer le métier d'enseignant en Belgique. En réalité, il excellait en tout autre chose : le vol à l'étalage ou par effraction ainsi que la falsification des papiers officiels. Au fil des jours, Mutombo et son cousin découvrent la vaste gangue de mensonges, de déchéance morale et de vénalité dans laquelle pataugeaient un grand nombre d'Africains résidant en Europe. Tout était programmé en fonction du clinquant, du faux-semblant et d'un hédonisme aveugle. Mais ce sont les mêmes qui entretenaient leurs familles au pays dans une illusion d'aisance et de commodités complètement surfaites. Et de retour au Congo, autant ils prenaient plaisir à étaler cette aisance de pacotille, autant ils évitaient soigneusement d'en dévoiler l'origine véritable.
Enormément déçus, les deux jeunes gens songent d'abord à retourner au Congo, vite fait, pour échapper à cette véritable mare au diable. Mais conseillés par leurs amis (car tous ne sont pas aussi dépravés), ils se décident de poursuivre leurs études supérieures.
Sept ans plus tard le bilan est plus que mitigé. C'est même un désastre : Maître a abandonné ses études et est devenu un alcoolique invétéré, qui doit vivre dans la clandestinité car sa carte de séjour n'est plus renouvelée. Mutombo, justement pour pouvoir renouveler la sienne, se voit obligé d'accumuler diplôme sur diplôme (il en est au cinquième). Mais il est à bout de ressources et songe à immigrer au Canada. Les amis comme Henry et Bali ou Nzadi, sont soit en prison, soit dans la rue en train de mendier, soit morts de sida…

Maguy Kabamba est née en 1960 à Fizi (Est du Congo), à étudié à Bukavu, à Kinshasa et à Lubumbashi, avant de faire l'interprétariat à Mons et au Canada. Elle réside actuellement au Canada, où elle travaille. "La Dette coloniale" est son unique fiction. La fascination de l'Europe sur plusieurs générations de jeunes Africains est un thème de prédilection, surtout à l'heure actuelle où il ne se passe pas un mois sans qu'on annonce la mort de jeunes Africains qui, sur des embarcations de fortune, tentent régulièrement de débarquer sur les côtés européennes, aux îles Canaries, en Italie ou en Grèce. Les nombreux débats que les protagonistes tiennent dans ce roman dévoilent l'essentiel des préoccupations de l'auteur : n'y a-t-il pas moyen que les Africains trouvent une voie de responsabilité pour se prendre enfin en charge ? Pour cesser de se faire ridiculiser en Europe en subissant le rejet social et le racisme ? Pourquoi les jeunes Congolais préfèrent-ils les illusions éphémères d'un "carpe diem" aléatoire en Europe au lieu de rentrer dans leur pays pour le développer et y vivre plus dignement ?
C'est en cela que ce livre contient peut-être une morale : celle de la dignité. Il est écrit dans un style limpide, aisé, plein d'humour et de vivacité, même si la longueur des dialogues et des débats frise parfois la démonstration et alourdit quelque peu la narration. L'auteur a réussi là une gageure difficile : celle d'abandonner, pour une fois, les sempiternelles ritournelles contre le Blanc prédateur pour se pencher sur la prédation du Noir en Europe, même si celle-ci se cantonne à des proportions dérisoires et s'accomplit sous le signe de l'apurement forcé de la "dette coloniale".