R.D.C.

{ Afrique, Afrique centrale et de l'Est }

Polars à la sauce Congo, petit panorama de ce domaine de la création littéraire de la RDC - chronique de Bernard Magnier - source: CEC -

A. J. NZAU

  • Traite au Zaïre, L’Harmattan, 1984

Achile NGOYE

  • Agence Black Bafoussa, Gallimard, 1996
  • Sorcellerie à bout portant, Gallimard, 1998
  • Ballet noir à Château, Gallimard, 2001

BOLYA

  • La polyandre, Serpent à plumes, 1998
  • Les cocus posthumes, Serpent à plumes, 2001

Un regard sur un peu plus d’un demi-siècle de création romanesque africaine de langue française permet, en effet, de constater que le roman policier n’a guère eu d’adeptes parmi les écrivains africains de langue française. Deux romanciers ont cependant été novateurs en ce domaine. En premier lieu le Malien Modibo Sounkalo Keita avec L’archer bassari, paru aux Editions Karthala en 1984, et, en 1985, le romancier d’origine camerounaise né à Lausanne, Simon Njami qui avec, Cercueil et Cie (Editions Lieu Commun) avait choisi d’emprunter les traces de son talentueux aîné américain Chester Himes, allant même jusqu’à lui emprunter ses deux détectives fétiches, Cercueil et Fossoyeur. Si l’on excepte ces deux romans, prometteurs et pourtant demeurés sans suite dans ce genre chez ces deux écrivains, ce n’est que vers la fin des années 80 et le début des années 90 que le roman policier a véritablement fait son entrée en Afrique francophone.

Si le Mali avec Moussa Konaté (Gorgui, L’assassin du Bankoni) et Aïda Mady Diallo (Kouty, mémoire de sang) -pionnière parmi les femmes à recourir à ce genre-, le Sénégal avec Abasse Ndione (Ramata), Asse Guèye (No woman no cry) et quelques autres, le Cameroun derrière le prestigieux aîné, Mongo Béti, tenté par ce genre à la fin de sa vie (Branle-bas en noir et blanc), il semble bien que les auteurs qui se sont, pleinement et quasi exclusivement, engagés dans cette veine, avec des tentatives des plus réussies et des plus suivies sur le long terme, appartiennent à la République démocratique du Congo. Ainsi, dès 1984, A.J. Nzau inaugurait avec Traite au Zaïre l’exploration d’un genre que deux de ses compatriotes, Achille Ngoye et Bolya Baenga, allaient, avec efficacité et persévérance, poursuivre quelques temps après.

Traite au Zaïre d’Antonio J. Nzau offre un cocktail qui avait déjà fait ses preuves, en d’autre temps et sous d’autres latitudes, en réunissant énigme policière, personnages crapuleux et arrière fond politique. Ici, un médecin congolais est aux prises avec les tenants des réseaux de prostitution, des politiciens véreux, les barbouzes des services secrets, des diplomates plus ou moins scrupuleux, et quelques autres personnages au demeurant fort peu recommandables...

Achille Ngoye, après un premier livre consacré à la capitale congolaise, Kin la joie, Kin la folie (Editions de L’Harmattan) est venu s’installer à Paris où il a travaillé dans le journalisme et tout particulièrement dans le domaine musical. Et c’est à lui que revint le mérite d’être le premier écrivain africain publié dans la prestigieuse “série noire” créée en 1945 pour les Editions Gallimard par Marcel Duhamel. Le premier titre d’Achille Ngoye publié dans cette collection, Agence black Bafoussa, conte les embarras de l’inspecteur Cardoso, portugais né en Angola, et de son supérieur Jacques Mayotte, tous deux chargés de l’enquête sur la mort de Danga, un Kalinais, opposant au régime autocratique du maréchal-président et retrouvé mort dans son appartement d’une cité de la banlieue parisienne. Le second titre, Sorcellerie à bout portant, se situe au Zaïre où son personnage principal retourne à l’occasion de l’enterrement de son frère, prétendument décédé dans un accident de voiture. Mais il se passe des choses bien étranges lors de ce “retour au pays natal” après quinze ans d’absence et les soupçons ne tardent pas à se manifester, d’autant que le défunt appartenait à un corps d’élite chargé de “missions de pacification” ce qui n’était pas du goût de tout le monde... Avec Ballet noir à Château-Rouge, et comme le titre le laisse entendre, Achille Ngoye revient à Paris où il s’agit, cette fois, de retrouver la trace d’un immigré malien clandestin disparu après un contrôle de police...

Ainsi, que l’action se situe au Congo ou à Paris dans des lieux et avec personnages qui témoignent de la “vie africaine” dans la capitale française, Achille Ngoye joue, avec un plaisir communicatif, des rouages du roman policier. Les ingrédients sont puisés au creux de la tradition. Dans le cadre d’une grande ville, les lieux choisis sont souvent ces quartiers interlopes où se côtoient vrais gangsters et petits trafiquants, où la débrouille et la magouille se complètent afin de créer une marginalité propice à toutes les dérives. Un terrain fertile et fécond pour les imaginations romanesques et l’exploration des marges. Le romancier imprime aussi sa trace grâce à une langue, gouailleuse et inventive, qui conjugue, avec bonheur, argot traditionnel du milieu, travestissement plus immédiatement contemporain du langage et une inventivité, à la fois singulière et savoureuse, tout droit venue d’Afrique.

C’est également à Paris où il réside que Bolya -auteur volontiers fantasque et iconoclaste, par ailleurs essayiste féru de culture japonaise (L’Afrique en kimono, L’Afrique à la japonaise. Et si l’Afrique était mal mariée publiés aux Editions Nouvelles du sud)- a campé ses personnages et ses intrigues. La seule mention des titres de ses romans, La polyandre, Les cocus posthumes est déjà en soi une indication quant à leur inclination vers une incontestable singularité provocatrice. Dans l’un et l’autre titres, le lecteur est, dès les premières lignes, plongé dans une ambiance d’une grande violence. Dans La polyandre, trois cadavres émasculés sont retrouvés sur un trottoir parisien, dans le quartier de la Bastille, avec une pancarte sur le ventre, “Nègre = sida”... Dans Les cocus posthumes, ce sont deux jumelles, “deux fillettes noires” qui sont retrouvées, sur le marché de la place d’Aligre dans le 11è arrondissement, assassinées, violées et le crâne rasé... Les deux enquêtes seront confiées à l’inspecteur Nègre qui va être confronté à de bien étranges cérémonies et de bien troubles personnages. Deux intrigues “voisines” qui mêlent volontiers crapulerie et politique internationale, racisme ordinaire et pratiques traditionnelles, folies macabres et fantasmes dérangeants... comme autant d’éléments offrant à l’auteur la possibilité d’un détournement des stéréotypes en usage (et en abus !) à propos du continent africain et de ses habitants exilés. Les romans de Bolya ont aussi le mérite d’avoir introduit un personnage-détective récurent, l’inspecteur Robert Nègre, qui, s’il doit beaucoup à quelques-uns de ses pairs en littérature, jouit également d’une personnalité forte qui pourrait lui valoir de nouvelles aventures...

Outre l’origine congolaise et la résidence parisienne de leurs auteurs, tous ces livres, publiés à Paris dans des collections spécifiquement dédiées à ce genre littéraire, mettent en scène des personnages africains dans un même environnement urbain et offrent une même plongée dans les eaux troubles des convoitises politico-financières. Tous partagent un même goût pour les marges du langage, un même recours aux excès et à l’outrance, mais, peut-être et surtout, une même propension à choisir le masque du “polar” pour dénoncer les dérives, les coins d’ombre de l’humain et de la société. Des plongées en eaux troubles afin d’y voir... plus clair !