Chronique

Une chronique de Bernard Magnier - source: CEC -

Avec Tout ce bleu et Mâ, ses deux livres publiés en 1996 et 1998, Gaston-Paul Effa, professeur de philosophie d’origine camerounaise vivant dans l’est de la France, avait fait sa véritable entrée littéraire, laissant oublier ses deux précédentes publications. Tout ce bleu offrait de suivre, dans son itinéraire d’exil et dans les incertitudes existentielles, un jeune héros entre Douala et Paris, deux villes-clés de son itinéraire vers la maturité. Avec Mâ, il plaçait au centre de son univers romanesque deux figures féminines aux destins entrecroisés. Tout ce bleu et Mâ, deux romans complémentaires qui permettent de mieux cerner la personnalité de cet auteur à la destinée hors du commun.

Douala est la première étape dans le cheminement de Douo Papus, le jeune héros de Tout ce bleu. C’est dans cette ville qu’il entreprend sa découverte de la vie. Placé sous la tutelle prégnante des religieuses auxquelles il a été confié par ses parents, il trouve très vite dans les livres un échappatoire à sa condition et à l’emprise dont il est le sujet. Tout d’abord conté à la troisième personne, cette aventure sera, peu à peu, prise en main par le jeune adolescent qui s’emparera du “je” pour relater la seconde partie de son initiation, intitulée “Paris”.

Sous l’emprise du Père Marie-Pâques dont il se sent le “fils spirituel, l’enfant qu’il n’a jamais eu”, il est attiré par la vocation religieuse et, si le choc avec la France est brutal, il demeure que son “aventure ambiguë” est heureuse et sans nul sauvée -pour ne pas dire transfigurée- par la fréquentation des livres et la découverte du doute. Sa quête, placée sous la couleur du deuil, trouve son développement dans les subtilités complexes d’une langue française “apprivoisée”, au sein de laquelle le jeune héros et son maître, écrivain et modèle, errent entre spleen doré et adoration mystique, entre Baudelaire et Péguy.

La littérature ayant permis de joindre les deux termes du voyage, de tisser la trame qui relie Douala et Paris, les deux pôles de l’existence d’un même homme, réconcilié avec lui-même, comme avec son passé et l’image qu’il s’en faisait, nul doute que l’écriture soit alors l’aboutissement inexorable, le prolongement naturel du voyage initiatique...

“Mâ” est une onomatopée prononcée avec quelques variantes sous bien des latitudes et dès le plus jeune âge par l’enfant pour désigner la mère, c’est sous cette appellation que Gaston-Paul Effa place son récit qui, comme le précédent, creuse au fin fond de l’intime et offre une double entrée à son univers par le biais et la voix de deux personnages féminins. La première, Sabeth, sera le personnage principal du livre. La seconde, Mâ, donnera son nom au roman et sera l’un des intermédiaires qui rendront possible la rédemption de l’héroïne.

Dès le début du livre, Sabeth se voit retirer son enfant, confié aux religieuses selon la volonté de son père. De ce “rapt” (titre du premier chapitre) à l’”enfantement” (titre du dernier), Sabeth poursuit son douloureux itinéraire. Dans une atmosphère religieuse extrêmement présente qui semble régler, directement ou non, les moindres gestes de chacun des protagonistes, les héros évoluent jusqu’à l’identification aux grandes figures de La Bible et des Évangiles. “Grand hymne à la femme africaine” selon l’éditeur, Mâ est certes un hommage vibrant à la mère et à son rôle dans la vie communautaire mais il est aussi un roman d’introspection élaboré par un romancier didactique doublement influencé par ses études philosophiques et son éducation religieuse.

Bien sûr, la grande originalité et le grand intérêt de ces livres se trouve dans cette interaction de la formation intellectuelle de son auteur qui, là où certains ont privilégié une approche affective des liens avec la mère et là où d’autres ont, pour leur part, observé le phénomène avec la froideur de l’analyste, Gaston-Paul Effa sait, avec subtilité, conjuguer les deux regards, sans nul doute parce, chez cet écrivain, ce double héritage ne fait qu’un et qu’il a su tirer un parti des plus harmonieux de sa destinée. Tout ce bleu et Mâ, deux quêtes pour combler le vide d’une même absence.