Chronique

- Doux murmures sur Diên Biên Phù

Diên Biên Phù est l’histoire d’Alexandre, ancien soldat de l’armée française qui a « fait » l’Indochine. Il avait participé à cette guerre, motivé par la propagande coloniale ambiante, mais peut-être aussi y voyait-il une voie pour le sauver de s’être mal marié. Il a vite compris qu’il était embarqué dans une cause qui ne pouvait être la sienne, défendre l’impérialisme colonial français. C’est Alassane Diop, lui-même embrigadé depuis le Sénégal occupé par la France, pour combattre à ses côtés, qui va changer son regard. C’est lui qui lui sauve la vie, qui lui ouvre les yeux sur l’absurdité de cette guerre, et qui lui ouvre le cœur sur l’humanité de chacun quelque soit son camp. Et c’est ce même Alassane Diop, cousin d’Alioune Diop, fondateur de la Maison d’édition Présence africaine, qui lui fera découvrir un mouvement littéraire qui réunit des hommes et femmes de lettres d’Afrique, des Caraïbes mais aussi français, européens, qui combattent ensemble la colonisation, l’oppression de l’homme noire, en faveur de la diversité culturelle et sa valorisation par l’art et la culture. Alexandre utilisera sa plume pour participer à ces résistances, fortement encouragé par celui qui deviendra son ami de toujours, son frère d’une autre terre.

C’est Maï-Lan, cette femme au visage-lune, cette femme-océan, qui accompagnera la transformation, la re-naissance d’Alexandre, par la grâce d’une histoire d’amour, profonde et belle.  A la fin de la guerre, chacun retourne dans son pays. Maï-Lan ne peut se choisir, elle doit rester pour son pays et pour les siens. C’est le début de 20 années d’errances, de mort et de renaissance pour Alexandre qui maintiendra en vie l’absente par la poésie, en même temps qu’il déploiera ce qu’il lui reste comme énergie pour vivre en harmonie avec son épouse et ses enfants en France. 20 ans plus tard, il quitte tout et décide de retourner au Vietnam sur les traces de cet amour vieux, jeune et fou. C’est ce voyage en aller simple auquel nous sommes conviés.

Comment sauver l’amour à travers le temps et l’espace qui nous sépare de la présence de l’autre ? Peut-on vivre, mourir et renaître par la force de l’amour ? Seule la poésie peut transcender ce qui nous dépasse, tel cet amour vécu sans délai. C’est en tous les cas, cette conviction forte qui fait cheminer Alexandre dans sa quête de vérité, d’être soi, par-delà et avec l’être aimé.

Bien sûr, il y a la toile de fond historique, particulièrement percutante pour interroger l’humanité, en cette période des colonisations, de l’impérialisme à tout va, de guerres interminables basées sur la conviction de la supériorité d’un peuple sur un autre, mais aussi, en cette période de mouvements de résistance qui lient des hommes et des femmes de par le monde, convaincus que toute cause touchant la dignité, l’honneur d'un être humain doit être combattue par l’humanité entière. C’est cette prise de conscience qui, loin des enjeux politiques, ne peut se comprendre que par le cœur. C’est ainsi que peuvent s’épanouir l’amour et l’amitié, deux sentiments universels qui ne connaissent ni murs ni frontières et qui font la trame de ce roman.

Ce livre fait un Bièn Phû dans le contexte actuel où des identités s’exacerbent au déni de l’universalité de notre humanité à tous. Nous sommes tous les mêmes. Ce livre nous parle de mondialité, d'un monde en relation et non de mondialisation. Ce livre nous parle de poétique et non de politique en réponse aux conflits qui opposent.

Merci à Marc Alexandre Oho Bambe pour ces doux murmures sur Diên Biên Phù. Car, Diên Biên Phù, c’est le doux murmure d’un poème infini qui efface le temps et fait survivre l’amour. Diên Biên Phù, c’est le doux murmure d'échanges épistolaires qui délicatement expliquent à l’autre, ce qui est, ce que l’on ressent, sans le blesser, en toute liberté, loin, très loin. Diên Biên Phù, c’est le doux murmure entre hommes et femmes qui se rencontrent dans l’amour, dans l’amitié, mais aussi dans l'adversité. Diên Biên Phù, c’est le doux murmure de conversations de Marc Alexandre Oho Bambe avec ses maîtres d’espérance – Aimé Césaire, René Char, Edouard Glissant….- présents à travers tout le roman.

Diên Biên Phù, c’est aussi un hymne à l’art d'écrire, indissociable de la vie du poète-slammeur et romancier Marc Alexandre Oho Bambe, convaincu qu’il faut prendre le temps non pas de choisir, mais de se laisser choisir par les mots justes, - épurer son texte, épurer sa vie - .

Chronique littéraire de Dominique Gillerot.

Diên Biên Phù, Marc Alexandre Oho Bambe, Editions Sabine Wespieser, 2018.